- 1. Du filet au réseau sanguin
- 2. Postes, routes et fortifications : à l'origine des réseaux nationaux
- 3. Les réseaux d'eau et d'assainissement, premiers réseaux urbains
- 4. La pensée saint-simonienne et les réseaux
- 5. La science des réseaux au XXe siècle : de l'électricité à l'informatique
- 6. Réseau et organisation
- 7. Réseau et connexions
- 8. Réseau et système
- 9. Réseaux et territoires
- 10. Bibliographie
RÉSEAUX, philosophie de l'organisation
Postes, routes et fortifications : à l'origine des réseaux nationaux
L'anatomie et la médecine françaises ont entrevu dès le xviiie siècle l'intérêt du concept de réseau. À vrai dire, sans que le mot fût employé, un authentique réseau innervait déjà depuis bien longtemps le « corps » national français. La poste, dont le principe était déjà mis en œuvre par les Celtes, fut très tôt, en tout cas dès le xve siècle, organisée comme un réseau étendu à l'ensemble du territoire national. Soigneusement réglementé, accéléré sous Louis XI par la multiplication des relais, le système est de plus en plus performant et de plus en plus utilisé. Au moment de la Révolution française, le service est tout à fait remarquable pour les conditions de l'époque. Que l'on songe à la centaine de grands courriers quittant chaque jour Paris pour rejoindre Brest, Bordeaux ou Toulouse en moins de sept jours ! Que l'on songe qu'à la même époque tout habitant de la campagne se trouve à moins d'une demi-journée de marche d'un point de communication où il peut envoyer ou recevoir une lettre ! En d'autres termes, à la lumière de la métaphore anatomique qui, au début du xive siècle, instaure le réseau, le service de la poste mérite sans conteste le nom, qu'on ne tardera guère à lui attribuer, de réseau postal.
La maturation sera bien plus longue dans un autre domaine, celui que l'on dénommerait de nos jours l'aménagement du territoire. La construction des routes, des ouvrages de défense, d'adduction d'eau et l'assainissement des villes, tous équipements qui appellent aujourd'hui sans conteste l'emploi du terme réseau, se réalise en France pendant tout le xviiie siècle et au début du xixe sans que les ingénieurs pensent « réseau ».
En ce qui concerne les routes, malgré la création au milieu du xviiie siècle d'une administration royale des Ponts et Chaussées, une vision locale prédomine, alors même que se constitue l'essentiel de ce qui deviendra le réseau routier français. La limitation des financements, les grandes dimensions du territoire national empêchent la recherche d'une véritable cohérence. Jusqu'au premier Empire, on ne dispose même pas d'une typologie ou d'une nomenclature commune qui permettrait de penser l'ensemble des routes comme un réseau. Les enquêtes, les inventaires sont le plus souvent réalisés à l'échelle départementale, ce qui exclut pratiquement la vision d'un réseau national. La cartographie, effective dès 1740 dans les plans de Trudaine et Perronet levés à partir des travaux de Cassini, dans les cartes routières des trente-deux généralités de l'Ancien Régime, puis dans la carte « Itinéraire » de la France (fin du premier Empire), ne signifie pas représentation d'un réseau. Dans les atlas des Ponts et Chaussées, le point de vue reste purement local. Il s'agit d'inventorier avec minutie la route et ses abords dans une optique de cadastre et d'arpentage. La fonction de la route n'apparaît pas derrière les caractéristiques de l'ouvrage et du terrain où il se situe. Dans les cartes des généralités ne figure pas non plus de hiérarchisation circulatoire susceptible de caractériser le réseau. La carte « Itinéraire » de 1813 a le même défaut à l'échelle du territoire national. En fait, le seul principe d' organisation, insuffisant pour concevoir un véritable réseau routier, est la prépondérance de la capitale.
Bien qu'a posteriori cette absence du réseau dans la pensée et la pratique des ingénieurs routiers ait de quoi nous étonner, elle se comprend dans le contexte de l'époque. D'une part, le souci des travaux et des projets était d'essence locale et portait toujours sur des aspects ponctuels, sur des tronçons, sur des territoires précis.[...]
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Écrit par
- Gabriel DUPUY : ingénieur des Arts et manufactures, docteur d'état ès lettres et sciences humaines, professeur à l'Institut d'urbanisme de Paris, université de Paris-XII, chef de département à l'École nationale des ponts et chaussées
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