RÉSEAUX SOCIAUX, Internet
Créativité ou mimétisme ?
L'ouverture du réseau social sur la nébuleuse (ou la nuée, cloud) des proches ou vers des inconnus partageant des traits identitaires communs favorise une exploration curieuse du monde. Car cette nouvelle expressivité n'est pas simplement narcissique : elle engage les personnes dans des échanges qui les redéfinissent. Le souci de distinction et de différenciation à l'égard des autres qui s'affiche par la mise en scène de signes identitaires sert avant tout à relier. En ce sens, comme l'ont noté nombre d'observateurs de l'individualisme contemporain, la construction de l'autonomie est fondamentalement relationnelle. Lorsque les nouvelles pratiques d'Internet sont regardées dans leur seule dimension identitaire, elles apparaissent comme des formes exacerbées d'intensification du rapport à soi. Replacée dans le système d'échanges qu'elle suscite, cette exhibition prend des colorations multiples qui ne peuvent se réduire au calcul, à l'opportunisme ou à un rapport aliéné à soi – même si ces dimensions sont incontestablement présentes dans l'expérience des personnes.
Plusieurs dimensions de cette nouvelle économie relationnelle doivent être soulignées. En premier lieu, tout prouve que l'activité expressive et les échanges sur Internet ne diminuent pas le nombre des rencontres mais au contraire l'augmentent. Tout se passe même comme si la multiplicité, l'intensité et la diversité des engagements quotidiens constituaient un support nécessaire à la mise en récit de soi sur Internet. En second lieu, les études sociologiques sur la sociabilité en ligne montrent que l'extension du nombre de liens ne fait pas disparaître la séparation entre liens forts (peu nombreux, réguliers et chargés d'une dimension affective) et liens faibles. Si les premiers ne changent guère, en volume et en intensité, ce que fait naître la pratique relationnelle d'Internet, c'est une augmentation et un élargissement du nombre de « liens faibles » : simple connaissances, amis d'amis, personnes croisées avec qui on garde contact, partenaires dans une activité avec lesquels on partage un moment de vie très dense avant de les perdre de vue, inconnus dont on découvre qu'ils partagent des goûts ou une passion commune, anciens amis qu'on retrouve sur la Toile, etc. Les interfaces des sites d'échanges accumulent et stockent la vie relationnelle des individus. Mais, surtout, cette mise en visibilité des multiples cercles construit un espace de circulation et d'échanges qui rend les personnes plus sensibles aux centres d'intérêt et aux événements vécus par ceux avec lesquels elles ont choisi d'être en relation d'interdépendance – une des explications du succès de ces plates-formes chez les adolescents est qu'elles leur permettent de construire un réseau de liens électifs desserrant l'étau des obligations familiale, scolaire et territoriale. Invitant indistinctement au voyeurisme et/ou à la curiosité, l'exhibition du réseau des échanges favorise enfin la « sérendipité » (de l'anglais serendipity, mot inventé par l'écrivain anglais Horace Walpole à propos d'un conte persan), cette aptitude à découvrir par le jeu du hasard et de l'esprit d'observation qui constitue un des phénomènes les plus originaux du Web 2.0. C'est en naviguant que les personnes découvrent et réalisent ce qui les intéresse. Et qu'elles s'engagent dans de nouveaux échanges.
Les réseaux sociaux ne sont plus uniquement l'apanage de pratiques juvéniles. Même si adolescents et jeunes adultes sont toujours les utilisateurs les plus nombreux et les plus actifs de ces plates-formes, on observe aujourd'hui le développement de plus en plus rapide des usages par des populations plus âgées et[...]
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Écrit par
- Dominique CARDON : sociologue au Laboratoire des usages de France Telecom R & D, chercheur associé au Centre d'étude des mouvements sociaux, École des hautes études en sciences sociales
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