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RESPONSABILITÉ

La notion de responsabilité prend place à la double jonction de l'éthique et du métaphysique, d'une part, de l'éthique et de l'anthropologique, de l'autre.

En proclamant la responsabilité du sujet nouménal sans autre preuve que la douteuse évidence d'une « loi morale » dont histoire et psychologie incitent à penser qu'elle n'est, en réalité, que le produit d'une évolution, le métaphysicien se montre infidèle au principe de la critique. Le sociologue, de son côté, ne satisfait pas entièrement le besoin de comprendre qui anime le théoricien du phénomène moral, car l'enregistrement des « faits de responsabilité » laisse échapper l'essence des situations étudiées : le vécu de la responsabilité. Serait-il possible de concevoir un mode d'appréhension phénoménologique accordant la place qui lui revient à l'élément spécifiquement éthique de toute situation de responsabilité, à savoir l'attitude qu'adopte le sujet en présence de l'autorité qui le rend responsable ?

Au début de la « Deuxième Dissertation » de La Généalogie de la morale, Nietzsche évoque « la longue histoire des origines de la responsabilité ». La responsabilité n'appartient pas à l'être de l'homme comme une propriété naturelle. La société, par le moyen d'un implacable dressage, impose à cet animal « nécessairement oublieux » la discipline du devoir et rend son comportement « calculable » (berechenbar). L'aptitude à répondre de soi instaure la morale et traduit l'assujettissement. À l'ontologie kantienne de l'obligatoire Nietzsche entend substituer une phénoménologie de l'obligé, dont la tâche sera de reconstituer la genèse d'une morale qui n'a rien d'a priori ni d'apodictiquement certain.

N'est-ce point abolir toute idée de responsabilité réelle ? « Au-delà du Bien et du Mal », sur quoi se fonderait l'obligation de répondre ? Mais « au-delà du Bien et du Mal » ne signifie pas « au-delà du bon et du mauvais ». Le philosophe veut rétablir la vraie hiérarchie des valeurs. Il prend en charge le destin de l'espèce et se révèle « l'homme de la plus vaste responsabilité » – der Mensch der umfänglichsten Verantwortlichkeit (Par-delà bien et mal). Tout vouloir implique un sujet et engage une éthique ; à l'inverse, toute éthique s'enracine dans le vouloir d'un responsable. En établissant que l'individu est fait responsable par le groupe qui s'attache à le domestiquer, le « psychologue » contribue à l'élaboration d'une science de la moralité qui dévoilera l'imposture de l'impératif. Mais il décèle en même temps le pouvoir humain premier de se faire responsable. L'acte par lequel l'homme se constitue comme sujet dans le champ du langage et de l'expérience appartient au même registre que l'évaluation et relève de la même certitude.

L'attitude de responsabilité

Dans l'avoir à [répondre] transparaissent les caractéristiques formelles de l'obligation.

L'obligation oblige quelqu'un : la responsabilité vise un responsable. Sans cet assujetti (sujet à), elle n'aurait ni sens ni réalité. Elle a pu, dans le passé, concerner des objets : ceux-ci n'étaient jugés responsables qu'en tant que médiateurs d'un vouloir mauvais. Pour qu'il y ait responsabilité, il faut d'abord que quelqu'un soit là, qui ait à répondre.

Présence nécessaire mais non suffisante : il faut encore que l' autorité par laquelle le sujet se trouve fait responsable s'offre à lui sous les traits d'un pouvoir légitime. Antigone peut être jugée et condamnée sur ordre de Créon : elle se veut responsable devant d'autres lois que celles du tyran. La situation qui s'établit entre eux ne présente[...]

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, docteur ès lettres, professeur à l'université de Rouen

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