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RESPONSABILITÉ (droit) Vue d'ensemble

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Pour être familier du juriste contemporain, le terme « responsabilité » n'a pourtant que fort récemment pénétré la science du droit. Au commencement était le responsable, à propos duquel la recherche étymologique enseigne qu'il signifiait autant celui qui s'engage (du latin sponsor, « débiteur ») que celui qui garantit (responsor, « caution »), avant qu'il n'acquière son sens définitif, en désignant celui qui doit « répondre de » ou « répondre devant » – répondre d'un dommage en assumant toutes ses conséquences, comme en répondre devant la justice en subissant la contrainte publique qui s'y attache. La notion de responsabilité, dépouillée de la subjectivité du responsable car saisie cette fois en tant qu'institution, ne s'est en fait réellement dévoilée qu'au détour des xviiie et xixe siècles, d'abord dans l'ordre politique (responsabilité du gouvernement devant le Parlement) avant de connaître la fortune dans l'ordre juridique. Une maturation séculaire a ainsi permis la construction d'un système dont les développements contemporains ont sensiblement hâté l'élaboration, au risque d'en troubler l'ordonnancement.

La responsabilité juridique était une. Elle est devenue plurale. L'unité originelle imposait à l'auteur d'un dommage d'en assumer indistinctement le poids quel qu'en soit le prix. Prix individuel, car il lui incombait d'indemniser la victime au titre de sa responsabilité civile. Prix collectif, car il lui revenait de supporter simultanément la peine infligée pour l'infraction commise, au titre de sa responsabilité pénale. Responsabilité civile et responsabilité pénale étant intimement liées, les actions tendant à la fois au prononcé d'une peine et à l'allocation de dommages et intérêts s'enchevêtraient, à l'instar des actions « mixtes » du Bas-Empire romain, ou des peines collectives de composition, comme celles instituées par la loi des Francs saliens permettant le rachat familial du droit de vengeance. De l'œuvre des théologiens et jurisconsultes de l'ancien droit français (xiie-xviiie siècles) ressort en revanche l'exigence spirituelle d'une individualisation de la responsabilité, pour la première fois clairement ramassée autour du concept de faute personnelle, elle-même subdivisée en faute civile et faute pénale selon que l'intérêt en cause est de nature privée ou publique.

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Cette pluralité des responsabilités est pleinement accueillie par le législateur napoléonien. L'article 1382 du Code civil, selon lequel « tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer », est et demeure l'antienne du droit de la responsabilité civile délictuelle, moins par l'indivisibilité affirmée entre la réparation et la sanction d'un comportement fautif que par la généralité du principe qu'il expose. La responsabilité civile contractuelle est également fondée sur la notion de faute, l’inexécution fautive du contrat qui « tient lieu de loi » entre les parties (art. 1134 du Code civil) ouvrant droit à indemnité (art. 1142). Corrélativement, la codification des lois pénales de fond et de procédure confirme la spécificité de la poursuite des infractions pénales, soumise au principe protecteur de légalité des délits et des peines qui contraint à leur définition préalable, excluant de ce fait toute répression sur la base d'une disposition générale (nullum crimen, nulla poena sine lege : il n'y a ni crime ni sanction sans une loi). S'affirme tout autant la suprématie de l'intérêt public sur l'intérêt privé, qui soumet le juge civil à l'autorité de la décision pénale lorsque une infraction trouble simultanément les droits d'une victime et la paix publique.

À partir de ces nouveaux principes, le juge et le législateur n'ont cessé de bâtir, et le corpus juridique de réagir aux sollicitations du corps social. Initialement dégagé de toute responsabilité en raison de son autorité régalienne, l'État a progressivement accepté de se soumettre à celle-ci sans abdiquer sa singularité, le Tribunal des conflits ayant considéré que « la responsabilité qui peut incomber [à l'État] pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu'il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil » (arrêt Blanco, 8 février 1873). Née autonome, la responsabilité administrative n'a pas pour autant échappé à l'« idéologie de la réparation » qui a traversé tout le champ des responsabilités, au point d'en remodeler profondément la physionomie.

Les révolutions, industrielle puis technologique, ont accru de façon exponentielle les sources de risques accidentels, par nature à l'écart de la faute. De sorte que la recherche de responsables non fautifs a marqué le recul de la responsabilité subjective, au profit de figures objectivées. La loi, en autorisant la poursuite en responsabilité civile des auteurs de dommages atteints de troubles mentaux, a sonné le glas de l'exigence d'imputabilité de la faute personnelle.

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La jurisprudence judiciaire, particulièrement féconde, a quant à elle consacré, au-delà de la lettre du Code civil, un principe indifférencié de responsabilité du fait des choses, récemment rejoint par une responsabilité généralisée du fait d'autrui, où l'auteur direct du dommage s'efface derrière un répondant, parent, chef d'entreprise, voire, dorénavant, toute personne chargée d'exercer un contrôle. Pour autant, l'aspiration des victimes à la réparation de leurs préjudices serait restée lettre morte sans le soutien de mécanismes d'indemnisation, assurance de responsabilité ou fonds de garantie ad hoc, véritables conditions de possibilité d'un droit où l'aptitude à l'assurance subordonne parfois l'action en justice. Au point de lézarder un édifice dont le retour de cohérence implique peut-être qu'il soit reconstruit.

Par vagues successives fluctuant au gré des urgences sociales, le législateur moderne a promulgué de nombreux textes particuliers en vue d'améliorer le sort des victimes. Sous cet assemblage de prime abord hétéroclite, des principes émergent néanmoins.

Sans relâche, depuis le xixe siècle finissant jusqu'à nos jours, les régimes spéciaux ont donc marqué de leur empreinte la responsabilité juridique. Certains visent avant tout à soulager les demandeurs en réparation du poids de la démonstration d'une faute commise par le responsable poursuivi. Ainsi en va-t-il du régime désormais applicable aux constructeurs, producteurs de produits défectueux et autres agents de voyages. D'autres instillent dans le droit de la responsabilité des concepts jusqu'alors inconnus, au point d'en gauchir les règles fondatrices. Par exemple, le régime d'indemnisation des accidentés de la route se satisfait aujourd'hui de l'implication d'un véhicule, sans que l'allégation par son conducteur d'un cas de force majeure le dispense de son obligation de réparer. D'autres enfin promeuvent la socialisation directe du risque, reléguant au second plan l'idée même d'une responsabilité individuelle pour orienter les victimes vers le garant de son dédommagement – organismes sociaux en charge des accidents du travail, fonds de garantie des victimes de contamination posttransfusionnelle par le virus du sida, des victimes de l'amiante, ou celles des accidents médicaux les plus graves, etc.

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L'article 1382 du Code civil tire de sa généralité la vertu d'égalité. Au contraire, la singularité des régimes spéciaux impose un traitement catégoriel des victimes, au point que la faveur – relative – des lois particulières semble parfois confiner au favoritisme. Pourtant, malgré cette imperfection structurelle, le devenir du droit commun de la responsabilité se laisse peut-être deviner dans ce droit spécial.

La notion de faute, une fois dépouillée de sa charge indemnitaire, s'ouvre à de nouvelles régulations sociales. L'avènement du principe de précaution, l'autonomie récemment conquise par la faute civile d'imprudence vis-à-vis de son homologue pénale illustrent ce potentiel de reconquête. On peut aussi penser à un droit épuré de distinctions compliquant à l'envi le sort des victimes, à l'exemple de la distinction savante entre la responsabilité civile et la responsabilité administrative, ou de celle entre la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle. Enfin, on peut espérer que la responsabilité juridique échappera à la judiciarisation des conflits par la promotion de modes alternatifs de leur règlement, à l'instar de la transaction institutionnalisée.

— Philippe PIERRE

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