RESPONSABILITÉ SOCIALE DES SCIENTIFIQUES
La responsabilité de la science et de ses acteurs au regard de la société ne serait pas un problème crucial si la science avait un impact modéré sur la vie des hommes et sur la planète – ce qui n'est plus le cas depuis au moins un demi-siècle – et si elle n'était pas une activité sacralisée échappant au regard critique de la société – ce qui est le cas depuis au moins les Lumières. C'est pourquoi cet article évitera de verser dans l'apologie pour se focaliser sur les carences du système scientifique, ce qui bien sûr ne doit pas donner à croire que la science est mauvaise par essence ou qu'elle n'apporte aucun bienfait à l'humanité. Les exemples seront tirés surtout de cas français.
La science : une activité sous influence
Pierre Thuillier (Les biologistes vont-ils prendre le pouvoir ?, 1981) souligne que, contrairement à une croyance bien ancrée, la science n'est pas une activité complètement objective et Jean-Marc Lévy-Leblond (La Vitesse de l'ombre, 2006) propose « une des seules définitions raisonnables de la science, due à Bertolt Brecht : il y aurait beaucoup d'avantages à décrire la science comme l'effort permanent pour mettre en évidence le caractère non scientifique des affirmations scientifiques ».
Bien qu'ils s'en défendent, nombre de chercheurs, mais aussi d'hommes politiques et de médiateurs, cèdent à cette vision religieuse et hégémonique de la science qu'on a nommée « scientisme » et que certains exégètes ont exprimée sans réserve. Par exemple, pour Ernest Renan (L'Avenir de la science, 1890), « la science seule peut fournir à l'homme les vérités vitales sans lesquelles la vie ne serait pas supportable ni la société possible » ou encore : « La science étant un des éléments vrais de l'Humanité, elle est indépendante de toute forme sociale, et éternelle comme la nature humaine ». À la même époque, Marcelin Berthelot, chimiste et homme politique, affirmait que la science « réclame aujourd'hui, à la fois, la direction matérielle, la direction intellectuelle et la direction morale des sociétés ». Plus proche de nous, Jacques Monod, Prix Nobel et pionnier de la biologie moléculaire, explique ce qu'est « le plus profond message de la science : la définition d'une nouvelle et unique source de vérité, l'exigence d'une révision totale des fondements de l'éthique » (Le Hasard et la nécessité : essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, 1970). Cette conception est assumée par exemple par le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, ancien président du Comité national d'éthique, quand il revendique des « fondements naturels de l'éthique », et demeure largement partagée, même si de tels discours sont plus difficilement recevables aujourd'hui. Il reste que la science a toujours constitué ou tendu à constituer un pouvoir en Occident, et que les persécutions de savants furent nombreuses dans l'histoire, les figures de Giordano Bruno ou de Galilée étant emblématiques. Si la religion catholique s'est distinguée dans cette chasse aux sorcières, l'histoire du lyssenkisme et de la pseudo-hérédité des caractères acquis, en U.R.S.S., montre que les religions ne sont pas seules à vouloir s'assurer le contrôle de la science et de ses productions. En fait, toute puissance instituée cherche soit à nier, soit à instrumentaliser la science, tant celle-ci influence la vie spirituelle et matérielle des citoyens. Il en va ainsi du « socialisme scientifique » d'hier comme des « commissions scientifiques » dont s'affublent aujourd'hui des partis politiques.
Par ailleurs, des perturbations graves de l'environnement global induites par le développement des activités humaines, c'est-à-dire par l'utilisation de la science, sont[...]
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Écrit par
- Jacques TESTART : directeur de recherche honoraire à l'INSERM
Classification
Médias