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RESPONSABILITÉ SOCIALE DES SCIENTIFIQUES

Chercheurs résistants

On ne peut pas accepter la charge sociale de producteur de savoir sans endosser la responsabilité de ce qu'il adviendra de ce savoir, au moins quand les enjeux technologiques ont été définis ou quand il y a déjà controverse sur l'usage à venir des innovations ainsi préparées. Bien sûr, nul ne sait exactement ce qui pourrait advenir d'un nouveau savoir, mais c'est aussi cet imprévisible qui oblige le scientifique à la responsabilité. Le moratoire sur le génie génétique décidé à la suite de la conférence d'Asilomar (1975) relevait de la volonté de précaution (ce qui est mieux que rien...) plutôt que d'une interrogation sur le sens et l'issue des recherches. La responsabilité du chercheur ne peut pas se réduire à prétendre assumer les conséquences de ses actes puisqu'il bénéficie d'une couverture par les institutions. Elle consisterait plutôt à solliciter et accepter le jugement par des tiers qui ne soient pas seulement des collègues. Le recours à l'avis d'un comité d'éthique peut correspondre à la recherche d'une couverture, le plus souvent compréhensive, aussi bien qu'à l'ouverture délibérée sur le monde. Une telle ouverture peut aussi passer par une démarche personnelle consistant à interroger des amis ou des personnes de culture pour recueillir leur opinion sur un projet de recherche, et parfois refuser de s'engager dans une voie dont on pressent des conséquences graves pour la société. Cette attitude d'objecteur de certaines recherches m'avait amené à demander (L'Œuf transparent, 1986) un « droit à la non-recherche », qu'on peut bien considérer comme preuve d'une certaine liberté du chercheur. Mais c'est une liberté négative que celle de s'enchaîner soi-même. Il est aussi difficile de l'expliciter auprès des collègues car l'autolimitation du chercheur attire la suspicion de ses pairs jusqu'à le faire considérer comme élément « anti-science »... De plus, quand l'interdit volontaire n'est pas vécu comme une provocation envers la communauté scientifique, il est vite traité d'utopie car, peut-on alors entendre, « si vous ne le faites pas, d'autres le feront ! » C'est avec le même « réalisme » que nombre de praticiens ou chercheurs s'indignent des restrictions bioéthiques pour certains actes car « si on ne le fait pas en France, les gens iront le demander ailleurs ». Revendiquer un interdit heurte beaucoup d'interdits et trop d'intérêts pour être aisément recevable. Surtout, cette attitude révèle le flou éthique confortable dans lequel sont installés les chercheurs, fondé sur le postulat que le bien-être des hommes dépend du progrès et donc de l'activité sans entrave des chercheurs.

Les travaux qui ont mené à la bombe atomique et au largage de celle-ci sur le Japon marquent le début d'une confrontation entre la pratique scientifique et des enjeux moraux. Comme l'a dit Robert Oppenheimer, maître d'œuvre du projet Manhattan avant d'en être culpabilisé, « les physiciens ont connu le péché ; et cela, c'est une connaissance qu'ils ne peuvent pas perdre ». Bien des scientifiques antérieurs, comme l'eugéniste Alexis Carrel avaient su échapper à un remords équivalent, mais même celui d'Oppenheimer est obscurci par le rôle supérieur qu'il accorde encore à la science. Ainsi écrit-il (cité par J.-J. Salomon, op. cit.) qu'il ne faut pas confondre l'acteur avec l'instrument ou que « la raison pour laquelle nous avons fait ce travail est que ce fut une nécessité organique. Si vous êtes un scientifique vous ne pouvez pas arrêter ce genre de choses »... ou encore : « lorsque vous voyez quelque chose qui est techniquement délicieux (technically sweet), vous[...]

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Ernest Renan - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis/ Getty Images

Ernest Renan

Membres du mouvement raélien lors d'une cérémonie à Rome le 12 décembre 2004 - crédits : Alberto Pizzoli/ AFP

Membres du mouvement raélien lors d'une cérémonie à Rome le 12 décembre 2004

Hwang Woo-suk lors d'une conférence de presse à Séoul, le 12 janvier 2006 - crédits : Jung Yeon-Je/ AFP

Hwang Woo-suk lors d'une conférence de presse à Séoul, le 12 janvier 2006