RESPONSABILITÉ SOCIALE DES SCIENTIFIQUES
Obliger à la responsabilité ?
Dans bien des domaines de recherche, les scientifiques, et les médias qui leur font écho, ont placé la barre des miracles imminents si haut que l'actualité les a démentis presque aussitôt. Ainsi pour les applications de la génétique puisque les thérapies géniques n'existent toujours pas et que les plantes transgéniques se montrent rétives à la « maîtrise » qu'on promettait ; ainsi des fameuses cellules souches embryonnaires qui devaient remplacer chaque organe défaillant mais semblent plutôt induire des pathologies cancéreuses ; ainsi de façon plus générale de « la santé pour tous » promise par l'O.M.S. à l'échéance 2000, période qui correspond plutôt à l'apparition de nouvelles pathologies... On pourrait citer les miracles équivalents attendus vainement de l'industrie nucléaire ou, déjà, des nanotechnologies. Sans conteste les scientifiques, et singulièrement les plus réputés, ont une large part de responsabilité dans ces promesses exagérées dont ils tirent un certain profit (crédits, notoriété...). Il est étonnant que le public ne leur en tienne jamais rigueur, comme s'il était reconnaissant des rêves de lendemains qui chantent au moins autant que des progrès réels... L'anthropologue Marcel Mauss observait que « la magie a une telle autorité qu'en principe l'expérience contraire n'ébranle pas la croyance ; même les faits défavorables tournent en sa faveur... » Il n'est donc pas de raison pour que les gourous de la science se fassent prudents ou procèdent régulièrement à une autocritique des promesses. De plus, la formation des scientifiques exclut l'histoire des sciences et l'apprentissage de la réflexion philosophique si bien que les chercheurs ne voient rien d'autre dans leur métier que la contribution au savoir, sans céder à des préoccupations sociales. S'inquiétant de carences déontologiques de plus en plus fréquentes, le Comité consultatif national d'éthique français (C.C.N.E.) a souhaité que les futurs chercheurs soient amenés à une prise de conscience effective, grâce à une réflexion soutenue pendant leurs études. Mais nul ne sait comment organiser cette réflexion pour obtenir l'effet recherché. Rendre obligatoires des séminaires d'éthique dans le cursus universitaire pourrait sans doute alimenter la réflexion par des apports historiques, philosophiques, législatifs, etc., mais cet enrichissement, dont l'intérêt est indéniable, suffirait-il pour moraliser les comportements ? Dans un système où la scolarité, puis les études universitaires et enfin les recherches sont officiellement inscrites sous le signe de la compétitivité, il peut être illusoire d'espérer des comportements plus éthiques qui viendraient s'opposer aux chances de gain individuel... Puisqu'on ne doit pas escompter davantage de moralité sacrificielle chez le chercheur que chez n'importe quel professionnel, il faut envisager des procédures de validation et de contrôle extérieures, qui reconnaîtraient la gravité du nouveau métier de chercheur au-delà d'un « serment d'éthique du chercheur » que certains sollicitent par analogie avec le serment d'Hippocrate du médecin. Mettre en place la transparence et l'échange en amont même de la recherche, c'est aussi accepter la confrontation avec la société civile et le mouvement associatif, pour recourir à des dispositifs réellement démocratiques (comme les conférences de citoyens) afin d'évaluer l'intérêt et la pertinence des grandes orientations de la recherche et de certaines applications. Pour cela une protection professionnelle des acteurs de la recherche, qui prennent le risque d'être « excommuniés » en dénonçant publiquement certaines orientations ou pratiques douteuses, est nécessaire grâce à un statut du lanceur d'alerte. Mais l'indépendance[...]
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Écrit par
- Jacques TESTART : directeur de recherche honoraire à l'INSERM
Classification
Médias