RESTAURATION (peinture et sculpture)
Recours aux sciences, interdisciplinarité et professionnalisation : la restauration au XXe siècle
Il faut attendre les années 1930 pour que la restauration trouve les fondements scientifiques et dogmatiques qui lui permettent de déboucher sur une conception plus large du sujet. Le laboratoire du département des peintures au Louvre est créé en 1932. Il fait suite à la création du premier laboratoire rattaché à un musée par Friedrich Rathgen à Berlin en 1888. L'imagerie scientifique en fluorescence d'ultraviolet (qui révèle les repeints), sous infrarouge (dessin sous-jacent) et la radiographie, employée pour la première fois en 1895, sont autant de moyens de pénétrer sous la matière picturale et de révéler le processus de création de l'artiste et l'état de l'œuvre. L'analyse des liants ou des pigments, la coupe stratigraphique pour une peinture ou pour une sculpture polychromée fournissent une aide à la décision en restauration. II devient dès lors clair que seule la démarche interdisciplinaire, dont le credo ne sera clairement énoncé que dans les années 1970, permet de confronter les points de vue de l'historien de l'art, du scientifique et du restaurateur.
Les principes destinés à la communauté scientifique se diffusent à l'échelle internationale grâce aux chartes (Athènes en 1931, Venise en 1964 ou Nara au Japon sur la question de l'authenticité en 1994) élaborées par l'I.C.O.M. (Conseil international des musées) ou l'I.C.O.M.O.S. (Conseil international des monuments et des sites), qui mettent en exergue des principes méthodologiques et une terminologie commune. L'émergence de la conscience des enjeux internationaux en matière de conservation-restauration s'accompagne de la volonté d'inscrire le domaine dans un processus scientifique et de spécialisation.
En corollaire, on assiste à une professionnalisation du métier de restaurateur qui va de pair avec la création des instituts de formation : l'Istituto centrale per il restauro (I.C.R.) est créé à Rome en 1939 à l'instigation de Cesare Brandi, l'Institut royal du patrimoine artistique à Bruxelles (I.R.P.A.) en 1957, l'Institut français de restauration des œuvres d'art (I.F.R.O.A.) à Paris en 1977, devenu en 1992 le département des restaurateurs de l'Institut national du patrimoine (I.N.P.), rapprochant futurs conservateurs et restaurateurs.
Cesare Brandi doit sa renommée à la fondation puis à la direction de l'I.C.R. et à ses nombreux écrits théoriques qui fondent une nouvelle approche de la restauration, nourrie de philologie et de philosophie kantienne. Dans la Théorie de la restauration (1963), il propose une méthode rigoureuse analysant « l'unité potentielle de l'œuvre » soumise à l'équilibre entre l'« instance historique » et l'« instance esthétique ». De 1971 à 1977, le Belge Paul Philippot développe à l'I.C.C.R.O.M. (Centre international d'études pour le conservation et la restauration des biens culturels) l'enseignement de la triple règle de la stabilité des adjonctions (comme les matériaux de la retouche), de la lisibilité des interventions et de la réversibilité des interventions (même si celle-ci est toujours relative).
La restauration est une démarche critique qui repose sur l'établissement d'une méthodologie précise. Les recherches en archives et le recours aux techniques d'analyses en laboratoire permettent de retracer l'histoire matérielle de l'œuvre. Tout projet de restauration requiert au préalable d'identifier les matériaux constitutifs et les techniques d'élaboration ; de décrire les altérations visibles ou évolutives, d'origine ou pas (décoloration ou noircissement inévitables de certains pigments ; craquelures prématurées ; chancis [micro-fissuration des vernis] ; sels sur la pierre ou corrosion du métal, etc.)[...]
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Écrit par
- Béatrice SARRAZIN : conservatrice générale du patrimoine, chef du département restauration du Centre de recherche et de restauration des musées de France
Classification
Médias