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RESTITUTION DES BIENS CULTURELS

De la décolonisation à la globalisation, les aléas de la restitution

Passons aux déplacements des œuvres d'art et d'autres biens culturels qui furent causés par les rapports de domination imposés par l'Occident – l'Europe occidentale et les États-Unis d'Amérique – à une grande partie de l'Asie, à l'Afrique et à l'Amérique centrale et du Sud du xvie siècle aux années 1950. Tutelle sur les finances et les douanes, expéditions punitives avec leur lot de pillages, occupation et protectorat, enfin colonisation au sens strict du terme : différentes pour ce qui est du pouvoir exercé par les puissances occidentales, ces situations l'étaient tout autant du point de vue des règles juridiques en vigueur à l'époque. Pour rendre les problèmes d'aujourd'hui intelligibles, il faut de plus tenir compte des mentalités. Pendant une partie de la longue période de domination occidentale, variable selon les pays, plusieurs peuples soumis à celle-ci ne se sentaient pas attachés à des monuments et des œuvres d'une antiquité qui leur était – ou leur était devenue – étrangère. Ce qui valait aussi pour des objets souvent abandonnés à la destruction. De leur côté, les Occidentaux, imbus d'un sentiment de supériorité culturelle si ce n'est « raciale », croyaient à bon escient protéger ces œuvres et ces monuments contre une disparition imminente au nom des intérêts de la science censée apporter ses bienfaits à l'humanité entière. À preuve, la création par Auguste Mariette du service des Antiquités de l'Égypte (1858) et par sir Alexandre Cunningham de l'Archaeological Survey of India (1861), avec pour effet, dans les deux cas, la préservation des monuments et le contrôle de l'exportation des antiquités.

Aboutissements d'une longue histoire, les problèmes de restitution qu'il faut résoudre aujourd'hui posent par conséquent la question de l'application rétroactive de normes élaborées dans un monde devenu profondément différent. Un monde où les rapports de domination à l'échelle internationale, déjà bouleversés par la décolonisation, sont en train de se modifier encore plus avec l'enrichissement et la montée en puissance de plusieurs pays qui ont appartenu au Tiers Monde. De part et d'autre, les mentalités ont désormais profondément évolué. Dans tous les pays d'où les œuvres furent expatriées, on a désormais conscience de leur importance identitaire et économique. Souvent, il entre aussi en ligne de compte des considérations de prestige. Du côté occidental, si personne ne conteste le fait que des injustices ont été commises, l'opinion se montre beaucoup plus divisée sur les moyens de les réparer.

L'extrême hétérogénéité des objets mêmes et les voies tout aussi différentes par lesquelles ils sont arrivés en Occident font que chaque cas exige un traitement spécifique. Il y a d'abord celui, le plus choquant, des restes humains collectés en violation des coutumes des peuples concernés ou au mépris flagrant de la dignité humaine. Sur ce point, il semble désormais acquis que, si une exigence de restitution est formulée, les restes des ancêtres, fussent-ils putatifs, doivent revenir chez leurs descendants pour y recevoir une sépulture conforme aux usages qu'ils pratiquent ; leur place n'est donc pas dans les réserves des musées, encore moins dans les expositions. Aux États-Unis, ce principe est au fondement du Native American Graves Protection and Repatriation Act de 1990. En Europe, la bataille autour des restes humains a duré bien plus longtemps. Ce n'est qu'en 2002 que furent rendus par la France à l'Afrique du Sud les restes de Saartjie Baartman, la « Vénus hottentote », dont Abdellatif Kechiche a évoqué l'histoire dans son film Vénus noire (2010).[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au C.N.R.S., directeur scientifique au Musée de l'Europe, Bruxelles

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