RÉALISME RETOUR AU
« De l'art à la nature, de la nature à l'art »
La Biennale de Venise, en juin 1978, avait proposé comme thème : « De l'art à la nature, de la nature à l'art ». Du côté des courants de la « modernité », ce programme naturaliste n'offrait guère de surprises au hasard des divers pavillons nationaux : poncifs et ennui. En revanche, au pavillon italien, une rétrospective de peinture découvrait le talent de Piero Guccione et révélait Attilio Forgioli. Guccione (né en 1935) est typique de la génération de ces jeunes artistes de la péninsule qui, en réaction contre l'intellectualisme glacé de l'avant-garde milanaise et internationale, revient à une peinture de pure sensibilité rétinienne et douée d'un puissant sentiment plastique, sur laquelle règnent le silence et l'immobilité : autant de traits qui ne sont pas sans l'apparenter aux Valori plastici des années 1920. L'organisation du paysage – les plages de sa Sicile natale –, en longues bandes plates scandées par les verticales des poteaux électriques, rappelle les étranges panoramas, pareils à des prédelles, des Macchaiaioli, tels Borrani ou Fattori. La présence d'une voiture automobile, une Volkswagen, donne cependant une certaine contemporanéité à la scène : il s'agit bien ici, à travers un métier et une sensibilité classiques, de faire de la laideur des objets industriels une chose précieuse comme Morandi jadis de ses pauvres bouteilles. À peu près contemporain, Forgioli (né en 1933) témoigne d'une sensibilité similaire dans des natures mortes dont le chromatisme où dominent les jaunes et les indigos n'est pas sans rappeler Bonnard.
Turin est par ailleurs le centre d'une étonnante reviviscence réaliste avec la peinture de Bonelli et de Vito Tongiani. Ce dernier (né en 1940), dans ses tableaux du paysage mi-industriel, mi-rural de la région de Massa-Carrare, dans ses portraits de paysans et d'ouvriers, traités dans une palette où dominent les terres, révèle un sens du volume et une qualité architectonique qu'il dit inspirés de Poussin et de David. Mais il y a autre chose : la masse de l'usine, la cheminée, les objets singuliers d'une nature morte, la bouteille d'encre et les pinceaux retrouvent ici une pesanteur, un poids d'énigme ou encore, comme le dit Tongiani lui-même, « une stupeur » qui les approchent, là aussi, très étroitement, de la poétique des objets inscrits dans l'espace, de cette monumentalité énigmatique des choses qu'avait imaginée la Métafisicà – et en particulier Carlo Carrà dans son célèbre Pino sul mare. Plus proche peut-être de cette œuvre – maintenant qu'est levé le tabou idéologique qui pesait sur elle –, la peinture de certains novecentistes, principalement de Mario Sironi. Qu'aujourd'hui, les tableaux de Tongiani marquent au contraire un engagement politique qui se situe à l'extrême gauche indique clairement l'enjeu de ce nouveau réalisme qui, refusant l'imagerie naïve et souvent malhabile d'un Guttuso, prétend servir une cause mais sans jamais asservir la peinture à ce but, but poursuivi à travers donc un métier et une plastique d'une absolue perfection, l'artiste dût-il en chercher l'enseignement chez ceux qui furent, politiquement, ses ennemis d'hier. Ce réalisme « engagé » est d'abord et avant tout le triomphe de la peinture.
La situation en France apparaît moins nette, faute d'un mouvement ou d'un groupe organisé se réclamant ouvertement du réalisme et en raison de la rémanence d'une figuration « popisante » avec laquelle on s'autorise maintes confusions. Pourtant, au sein même de cette dernière, divers indices permettent de voir une évolution analogue à celle des autres pays. Le cas de Martial Raysse est ainsi proche[...]
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Écrit par
- Jean CLAIR : directeur du musée Picasso
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Médias
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