RETRAITE
Retraite et retraités
Développée dans le contexte de la société industrielle, l'institution de la retraite revêt une signification ambivalente : celle d'un droit au repos, mais aussi celle d'une mise à l'écart de la force de travail âgée.
Les systèmes de retraite ont ainsi constitué l'opérateur d'un nouveau découpage des âges de la vie. Ils ont conféré une identité particulière à la vieillesse et construit la définition moderne de cette étape de vie, comme temps de l'« inactivité pensionnée ». La création des retraites a eu quatre conséquences majeures sur la construction sociale du parcours des âges et sur la définition sociale de la vieillesse : nous les désignerons successivement par un effet de hiérarchisation, de chronologisation, de standardisation et de construction d'identité.
Retraite et construction sociale du parcours des âges
En premier lieu, les systèmes de retraite ont fortement contribué à l'ordonnancement et à la hiérarchisation du cycle de vie en trois étapes principales. Le travail est l'étape centrale, qui définit le contenu social de la vie adulte, encadré par la jeunesse vouée à la formation pour se préparer au travail et par la vieillesse associée à l'inactivité. Les systèmes de retraite ont aidé à bâtir un parcours des âges dans lequel le droit à l'inactivité se situe à la fin de la vie et est conditionné par la contribution, lors de la vie adulte, à l'effort productif.
En deuxième lieu, le développement des systèmes de retraite a aidé, avec d'autres politiques sociales (l'éducation entre autres), à accentuer le poids des critères chronologiques parmi les repères qui marquent les seuils et balisent les transitions d'un âge à l'autre du cycle de vie. Les retraites ont donc contribué à la constitution d'un parcours des âges, scandé essentiellement par des âges chronologiques : l'âge obligatoire de scolarisation et l'âge minimal fixé pour la fin de scolarité délimitant l'enfance et l'adolescence ; l'âge fixé pour le droit à la retraite pleine signalant l'entrée dans la vieillesse et la sortie de l'âge adulte. La place de la vie de travail est centrale dans ce modèle ternaire du cycle de vie.
En troisième lieu, cette tendance à la chronologisation du cycle de vie ternaire a induit progressivement une normalisation de celui-ci. Chacun passe, au même âge chronologique et d'une manière prévisible, d'une étape à l'autre du parcours des âges. L'entrée sur le marché du travail s'opère pour chaque niveau d'éducation à un même âge, la sortie d'activité s'effectue pour tous au même âge. L'évolution en longue période des âges de sortie d'activité témoigne d'une normalisation des comportements dans ce domaine. Le temps du retrait d'activité s'est constamment établi, avec la généralisation des systèmes de retraite, autour de l'âge de la retraite. Une réduction considérable de la dispersion des âges de sortie s'est également produite. Le modèle de la retraite salariée est même devenu la norme pour le monde des non-salariés, dont les comportements se sont progressivement calqués sur ceux des salariés.
Enfin, la généralisation des retraites va opérer un nouveau découpage des âges de la vie : vieillesse et retraite vont être associées, ce qui va conférer progressivement un principe d'identité à la dernière étape de la vie. Auparavant, la vieillesse ne pouvait être identifiée en tant qu'ensemble homogène appelant une action sociale spécifique. Tout contribuait à différencier le patriarche, doté d'un patrimoine familial et clé de voûte de ce système, des vieux sans patrimoine, qui venaient grossir le flot de ceux qu'on désignait comme « déshérités » – les pauvres –, les vieux incapables de travail, les handicapés,[...]
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Écrit par
- Lucy apRoberts : chercheur associé au laboratoire Institutions et dynamiques historiques de l'économie (CNRS-Université de Paris X Nanterre)
- Anne-Marie GUILLEMARD : professeur à l'université de Paris-V, membre de l'Institut universitaire de France
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