RÊVE
Le discours de savoir
Quant à la figure du discours de savoir, autre figure langagière qui domine la parole et l'organisation sociale moderne, on vient de suggérer qu'elle tient le déchiffrement et la lecture des symboles pour des fantaisies de « primitifs ». Elle va plus loin encore : c'est le rêve lui-même qui, de ce point de vue, finit par perdre toute réalité, par n'être plus qu'illusion. Michel Foucault a montré qu'à partir de l'instauration du positivisme médical au début du xixe siècle la déraison allait être réduite au statut d'une pure maladie, et qu'on allait la traiter comme un effet moral (plus tard on dira : psychique) de perturbations sociales ou, surtout, corporelles (physiologiques). On pourrait dire qu'un sort analogue frappe alors le rêve : le discours de la science n'a pas de mots pour lui, il ne peut pas l'interpréter, il lui faut le récuser comme un objet qui ne saurait satisfaire aux conditions du fait scientifique, comme quelque chose qui ne veut rien dire que la science puisse entendre. Le manque de considération pour le rêve, le refus de prêter attention à son contenu manifeste et d'interroger son contenu latent, l'imputation de sa production à des excitations d'origine interne (cénesthésie) ou externe (contexte perceptif du dormeur), les récentes recherches expérimentales (sur les chats et sur les hommes) destinées à dégager une fonction euphorisante, équilibrante, assignée au rêve, toute cette attitude des contemporains manifeste le profond désaveu que la figure du discours de savoir inflige à l'obscurité et à l'insaisissabilité du rêve, et qui n'est sans doute que la réciproque du défi irrelevable que celui-ci lance à celui-là. C'est contre ce désaveu du rêve par la science psychologique et la médecine psychiatrique que Freud, explicitement, écrit la Traumdeutung.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-François LYOTARD : professeur au département de philosophie et à l'Institut polytechnique de philosophie de l'université de Paris-VIII, membre du Collège international de philosophie
Classification
Autres références
-
ABORIGÈNES AUSTRALIENS
- Écrit par Barbara GLOWCZEWSKI
- 7 154 mots
- 5 médias
Les sociétés aborigènes diffèrent beaucoup selon les régions et leur environnement.Mais certains principes leur sont communs, notamment le concept de Dreaming (rêve). Plutôt que comme un âge d'or mythique des origines et de la création, il faut l'entendre comme la mémoire virtuelle de tout ce... -
BACHELARD GASTON (1884-1962)
- Écrit par Jean-Jacques WUNENBURGER
- 3 479 mots
- 1 média
...œuvre. Souvent rangée du côté des sciences littéraires, elle se révèle une défense et illustration de la face nocturne de l'homme, qui ne se réduit pas aux rêves de la nuit. Elle nous fait descendre vers l'inconscient, vers la mort, mais aussi vers les forces de vie, de joie, de surexistence, au point... -
BENJAMIN WALTER (1892-1940)
- Écrit par Philippe IVERNEL
- 2 748 mots
- 1 média
...Actualisation du présent autant que du passé : car en l'un comme en l'autre, il s'agit de sauver la chance d'un éveil critique commandé par l'urgence pratique. « Chaque époque en effet, conclut Benjamin dans un exposé de 1935, ne rêve pas seulement la prochaine, mais cherche au contraire dans son rêve à s'arracher... -
INCONSCIENT (notions de base)
- Écrit par Philippe GRANAROLO
- 3 276 mots
...qu’un « gardien » exige des désirs inavouables du sujet qu’ils se déguisent pour franchir la barrière de la censure. C’est la raison pour laquelle nos rêves seraient cryptés et exigeraient un décodage. « À l’entrée de l’antichambre, dans le salon, veille un gardien qui inspecte chaque tendance psychique,... - Afficher les 45 références