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RÊVE

Le rêveur et l'interprétation

Essayons de déterminer à partir de quelle région figurale Freud va scruter le rêve. Ou plutôt de quelles régions, car en sa méthode se combinent plusieurs approches, qu'il faut référer à plusieurs figures. Celle du mythe tout d'abord. Freud observe que la procédure d'interprétation qu'il propose est plus proche des déchiffrements « populaires » que de l'attitude scientifique. Du moins du déchiffrement en usage dans l'Antiquité, tel qu'Artémidore de Daldis le rapporte au iie siècle de l'ère chrétienne, et qui associe au savoir des symboles une enquête sur la personnalité et la vie du rêveur. La méthode de Freud ne diffère de cette dernière que par un trait : le travail d'interprétation va être confié au rêveur lui-même. C'est lui qui, se mettant dans un état voisin du sommeil, associant librement les idées qui lui viennent à propos du rêve qu'il raconte, n'exerçant aucune sélection sur ce riche matériel, va exhiber involontairement dans son discours les traces de relations existant entre des souvenirs, des situations, des personnes apparemment très différents, et qui, par ce travail, va faire émerger de l'ombre un vaste réseau de relations, dont le rêve lui-même n'était qu'un morceau ou qu'un puzzle de morceaux. L'interprétation ici ne peut pas être une traduction, elle doit être un travail, et il faut que ce soit le rêveur qui le fasse, parce que la source de son rêve, si l'on compare sa situation à ce qu'elle pouvait être dans la figure mythique, force cosmique, est ici supposée solitaire, individuelle.

Ce travail de l'interprétation, Freud dit qu'il reprend, en en inversant le cours, le travail du rêve lui-même. Les éléments constitutifs que les associations vont révéler proviennent de la vie éveillée : choses vues, personnes rencontrées, paroles entendues ou dites, livres lus, avec les émotions, déceptions, élans, gaietés, ennuis qui accompagnent tout cela ; et non seulement en provenance de la vie récente d'hier, mais remontant d'il y a longtemps, des fonds de l'enfance, malgré l'oubli. Ces éléments forment, dit Freud, les « pensées du rêve ». Si ces pensées, qui par elles-mêmes sont parfaitement intelligibles puisqu'elles relèvent de la perception et de la vie consciente, se présentent méconnaissables dans le contenu manifeste du rêve, c'est qu'elles ont subi des opérations de déformation, des condensations, des déplacements, des mises en scène imaginées qui en altèrent complètement la teneur et l'organisation au point qu'il faut supposer encore des travaux de remise en ordre (dits d'élaboration secondaire) pour effacer sur le produit final les traces de ce chaos. Donc machinerie qui broie et charrie les pensées du rêve. Et l'énergie de la machine, c'est le désir.

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Écrit par

  • : professeur au département de philosophie et à l'Institut polytechnique de philosophie de l'université de Paris-VIII, membre du Collège international de philosophie

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