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REVENU NATIONAL

Consommation intermédiaire et utilisation finale

Il semble évident que, lorsqu'on calcule la production d'un pays, on doit éviter de compter la même chose deux fois, ce qui nécessite qu'on ne tienne compte que de la production « finale ». Ainsi on comptera la valeur du pain produit par le boulanger mais pas celle de la farine de blé produite par le minotier. La consommation intermédiaire est un « coût de fabrication » et ne saurait en aucun cas être ajoutée aux biens finals lors du calcul du revenu.

Mais la question est loin d'être aussi simple qu'on le croit, car ce que nous appelons « processus de production » est en réalité un circuit qui se reproduit indéfiniment et dans lequel il n'y a pas vraiment d'utilisation finale. Le poulet mange le maïs, le paysan mange le poulet, c'est le paysan qui produit le maïs, et ainsi de suite : il y a boucle sans fin. En fait, c'est le théoricien du revenu qui décide où est le stade final, et de là découle la délimitation entre ce qui est consommation finale et ce qui est consommation intermédiaire. Mais dire quel est le stade final c'est en réalité trancher sur qui est le maître du monde.

Ainsi on a vu que, pour les physiocrates, la consommation des classes non productives (roi, nobles, militaires, artisans...) faisait partie de la consommation finale, tandis que la consommation des paysans était traitée comme un frais à déduire, un peu comme la paille que mange le bœuf.

Cependant, même lorsque tous les êtres humains sont traités sur un pied d'égalité en tant que consommateurs finaux, de nombreuses questions théoriques se posent, notamment en ce qui concerne l'État ou les administrations publiques.

Ainsi il y a eu un important débat, dans les années 1930, sur la question de savoir si certaines activités de l'État, comme celles de la police et de l'armée, devaient être considérées comme des utilisations finales ou comme des consommations intermédiaires. Les économistes hongrois Matolcsy et Varga, ainsi que l'Américain Kuznets, ont soutenu que, si le travail du gardien de nuit d'une entreprise est compté comme une consommation intermédiaire pour celle-ci, c'est-à-dire comme un coût, l'activité de la police et de l'armée, qui jouent essentiellement le même rôle, doit aussi être comptée comme un coût pour la société. Si l'insécurité augmente, pense Kuznets, et qu'il faille dédier une partie plus grande des ressources de la nation aux tâches de police, il semble absurde d'y voir une augmentation du revenu national. Mais, pour ses adversaires, le sentiment de sécurité qui procède de l'activité de la police et de l'armée est un service qui produit de la satisfaction, exactement comme les autres, et doit donc être compté comme partie intégrante du revenu national.

Dans la pratique de la comptabilité nationale des pays industrialisés, c'est ce dernier point de vue qui a prévalu, moins pour des raisons de conviction théorique qu'à cause des difficultés pratiques qu'il y aurait à distinguer entre les différentes activités étatiques.

Ce débat ressemble en apparence à celui sur la frontière entre travail productif et improductif, car il porte aussi sur ce que l'on compte et sur ce que l'on ne compte pas comme revenu ; mais la classification des activités en productives et improductives est totalement différente de la classification en activités intermédiaires et finales. Chanter un opéra est clairement improductif, selon les critères des économistes classiques, mais dans le cadre du débat que nous examinons c'est certainement une consommation finale.

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  • : chercheur au G.R.E.S.E., université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
  • : président de l'Association pour la diffusion de l'économie politique

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