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REVENU NATIONAL

Le débat sur les prix

Jusqu'ici, l'exposé a essentiellement porté sur ce que l'on inclut et ce que l'on n'inclut pas dans le revenu national. Mais, si l'on veut disposer d'une évaluation chiffrée de celui-ci, alors on doit faire appel à un système de prix. Cela pose un problème complexe car il n'y a pas un système de prix unique pour faire une telle évaluation. Prenons un exemple : la comparaison du revenu national d'un pays entre deux années différentes. À première vue, il y a deux possibilités : utiliser les prix de l'année de départ ou bien ceux de l'année d'arrivée. Mais les résultats seront, en règle générale, différents selon les prix choisis. Il est même possible que les résultats soient contradictoires, c'est-à-dire qu'avec un système de prix le revenu ait augmenté tandis qu'avec un autre il ait diminué. Comment savoir alors si, par exemple, le pays s'est enrichi ou non, si la politique économique appliquée a été bonne ou mauvaise ?

Mais pourquoi choisir entre le système de prix de l'année initiale et celui de l'année finale ? Il semble tout aussi légitime d'utiliser n'importe quelle moyenne de ces deux systèmes de prix. Et pourquoi utiliser les prix du pays considéré ? Ainsi, lorsque la C.I.A. réalisait des estimations du revenu des anciens pays communistes, elle multipliait leur production parfois par les prix moyens du commerce international, parfois par les prix moyens de l'O.C.D.E. On peut même imaginer un système de « prix vrais », qui refléterait mieux que les prix constatés la véritable contribution au bien-être des différents produits ou leurs véritables coûts de production pour la société.

On entend souvent dire que les meilleurs prix à utiliser, pour évaluer le revenu national, seraient ceux qui se sont « formés librement sur le marché » car ils auraient l'avantage d'être moins frappés de « distorsions ». Cette question est fort complexe, et les économistes John R. Hicks et Amarthya Sen attirent l'attention sur le nombre impressionnant d'hypothèses cachées que contiennent les propositions de ce genre.

Comme l'a très bien expliqué Amarthya Sen, derrière le choix d'un ensemble de prix il y a en général des « jugements de valeur [...] qui sont souvent implicitement acceptés plutôt qu'explicitement énoncés ». Si l'on cherche à calculer le revenu national, c'est notamment pour effectuer des comparaisons, par exemple, entre le présent et le passé, ou entre deux pays, ou entre des couches sociales différentes. Il semble impossible de dire qu'un système de prix « contient des distorsions » si l'on n'a pas d'abord explicité ce que l'on veut comparer, et pourquoi. En dernière instance, ce que l'on veut savoir c'est si la situation (à un instant donné ou dans un pays donné) est meilleure ou pire (qu'avant ou que dans un autre pays) ; ce qui revient à se demander quel est le but de la vie sociale, ce qui est « bien » et ce qui est « mal », et donc à se poser des questions qui relèvent de l'éthique. Si le choix d'un système de prix donne une réponse tandis que le choix d'un autre système donne la réponse contraire, il est évident que s'est glissée subrepticement, dans les prix choisis, une réponse à la question qu'on se posait.

Parmi les économistes, l'opinion majoritaire à l'heure actuelle est que le but véritable de l'activité économique est l'accroissement du « bien-être collectif » (social welfare). Toutefois, il existe un débat sur le rôle que joue le niveau du revenu national dans le bien-être. Les économistes les plus prestigieux, depuis John Stuart Mill au moins, sont d'accord pour soutenir que, à partir d'un certain niveau de richesse (niveau que les[...]

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  • : chercheur au G.R.E.S.E., université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
  • : président de l'Association pour la diffusion de l'économie politique

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