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REVENU NATIONAL

Tentatives de mesure du revenu national et choix politiques

Le revenu national n'a pas été seulement l'objet de débats théoriques entre philosophes. Ainsi, ceux qui ont cherché à le mesurer concrètement ont été, depuis toujours, guidés par des préoccupations précises dont la principale était d'éclairer les choix politiques de l'État.

Les premières estimations connues du revenu national sont celles de William Petty, de Gregory King et de Charles Davenant, en Angleterre, entre 1667 et 1695. Petty avait, sans doute, une gamme d'intérêts très large, mais King et Davenant semblent avoir eu pour principal but d'évaluer la capacité qu'avait leur pays de mener avec succès une guerre contre la France. Ils voulaient évaluer la viabilité du projet politique qu'entretenait une partie de l'élite anglaise de dominer le commerce mondial.

En France, les premières estimations connues du revenu national ont été réalisées par Boisguillebert et Vauban, entre 1690 et 1700. Boisguillebert semble avoir eu pour but de montrer, chiffres à l'appui, que la politique militaire de Louis XIV, la révocation de l'édit de Nantes, les règlements entravant le commerce et la concentration des impôts sur les travailleurs avaient appauvri la France. Apparemment, il souhaitait que la France revînt à la politique menée par Henri IV.

Sous la Révolution française, des estimations du revenu national vont être conduites par le chimiste Lavoisier (en 1791) et, quelques années plus tard, par le mathématicien Lagrange. Ces estimations ont pour but d'évaluer les capacités militaires de la France – qui est alors en guerre contre une coalition européenne – et aussi de montrer que, depuis la Révolution, le niveau de vie du peuple s'est amélioré.

Pendant le xixe siècle, on peut relever de nombreuses tentatives de calcul du revenu national en France et au Royaume-Uni, toutes provenant néanmoins de l'initiative privée de quelques chercheurs. Il faudra attendre les années 1930, lorsque commence la comptabilité nationale moderne, pour que l'État s'intéresse de nouveau à la mesure du revenu national. L'Europe et l'Amérique sont alors en pleine dépression économique et ont besoin, avec urgence, d'un système cohérent et complet de comptes nationaux afin d'évaluer les conséquences quantitatives de leurs choix politiques. Le ralentissement de l'activité provoqué par la récession avait entraîné, entre autres, une diminution des revenus et de la demande ainsi qu'une chute des recettes fiscales, de telle manière que les États étaient obligés de choisir entre trois options : augmenter les impôts, réduire les dépenses ou faire appel à l'emprunt. Nombre d'économistes ont compris que seul un système relié de comptes nationaux permettrait de chiffrer les conséquences de ces différentes mesures sur le revenu national.

Quelques années plus tard, avec la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements se sont vus dans l'obligation de savoir exactement combien d'hommes ils pouvaient mobiliser dans les forces armées sans porter atteinte aux capacités productives de leur pays, et de préciser le montant des commandes militaires qu'ils pouvaient passer à l'industrie sans créer des goulots d'étranglement ou des ruptures du ravitaillement de la population. C'est essentiellement en raison des besoins de la guerre que les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni ont abandonné, comme concept de base, le revenu national net au profit du produit national brut, qui est légèrement différent mais qui précise mieux que le revenu national ce qui peut être prélevé, dans les ressources d'un pays, lors d'un effort exceptionnel et de courte durée. Toutefois, l'habitude de dire national income, plutôt que « produit national brut », est encore fortement ancrée[...]

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  • : chercheur au G.R.E.S.E., université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
  • : président de l'Association pour la diffusion de l'économie politique

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