Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

RÉVOLTE

La force d'un symptôme

C'est à l'intérieur de ce triangle que s'inscrivent les revendications toutes contemporaines, de Camus à E. M. Cioran, du postsurréalisme aux actions anarchistes, des « hippies » voyageurs aux zélateurs des libres communautés urbaines ou rurales... Les condamner, tout simplement, comme on le fait couramment au nom de l'ordre social ou du sens de l'histoire, c'est procéder à une réduction qui supprime idéalement le problème réel qui est posé ; leur accorder une fonction sociale révolutionnaire, effectivement transformatrice, comme il arrive à Herbert Marcuse de le faire, c'est être plus idéaliste encore et méconnaître la réalité des luttes sociales.

Les fondements de la théorie de la révolte comme moteur de l'histoire sont dérisoires : Hegel a remis, à l'avance, Stirner à sa juste place en établissant qu'à l'époque de la citoyenneté, il est bien normal que la subjectivité se veuille unique, malheureuse et protestatrice. Laissons les faux drames de Camus, qui ne sont qu'événements littéraires. Essayons d'oublier les « robinsonnades » économiques et idéologiques qui, depuis un siècle, jalonnent l'histoire de ceux qui s'efforcèrent d'aller au-delà de la contradiction socialisme/capitalisme.

La révolte est un symptôme. Comme telle, elle est une force. Hegel s'accommode un peu trop facilement des malheurs de la subjectivité : il lui suffit de la mettre là où elle doit être, à chaque époque, pour qu'aussitôt disparaisse la question qu'elle pose. Ainsi dans la philosophie de l'histoire hégélienne, la révolte apparaît comme catégorie générale s'inscrivant dans la lutte sempiternelle que les individus ont menée contre l'ordre social (d'Antigone au Neveu de Rameau). De cette manière, se préfigurent et se fondent les condamnations actuelles de toute révolte...

En vérité, la révolte comprise comme symptôme est un indice historique qu'il s'agit d'analyser dans sa signification concrète. À ce titre, elle est une catégorie historique importante. Un exemple est significatif : l'histoire de la Grèce classique – pour autant qu'on soit informé – ne compte point de révoltes d'esclaves qui puissent être retenues ; celle de Rome, par contre, témoigne d'une présence de plus en plus insistante de la classe servile, intervenant dans la lutte politique. La structure économique d'ensemble – le mode de production – est le même. Qu'y a-t-il donc qui ait changé ? Le fait de la non-existence de la révolte servile là, de son existence ici est un symptôme qu'il importerait de comprendre, de prendre à sa racine (nous n'avons pas, à ce propos, de réponse).

Hegel a raison : les tragédies de la subjectivité ne produisent jamais que des textes ou des prétextes. Il a tort : en même temps, celles-ci indiquent, implicitement ou explicitement, que quelque chose « ne va pas » dans une société donnée et marquent le désordre profond de celle-ci. Rejeter comme inessentielle la mise en question actuelle de la prétendue société de consommation par l'action corrosive et disparate de jeunes qui préfèrent la drogue ou le vagabondage mondial au travail planifié, tenir pour nulles les colères de citoyens qui ne supportent plus le type de citoyenneté qu'on leur impose et en viennent à commettre ce qui est, pour eux, le péché majeur : la transgression des lois, cela est peu sérieux. Comme il serait peu sérieux historiquement de ne pas retenir l'importance des révoltes complices et contradictoires, celles des sceptiques, nourris de la tradition grecque, et celle des adeptes d'une religion venue d'Orient, qui ont contribué effectivement à détruire l'administration impériale et, du même coup, un panthéon caduc...

La révolte n'est[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, professeur de philosophie à l'université de Paris-VIII-Saint-Denis

Classification

Autres références

  • ADOLESCENCE

    • Écrit par et
    • 2 667 mots
    • 1 média
    De nos jours, la violence juvénile résulte souvent de l'ennuimêlé de révolte que ressentent les jeunes qui ne trouvent aucun but à leur vie. Les situations d'échec scolaire, l'absence de formation et de perspectives d'emploi livrent ainsi les jeunes des banlieues à la « galère », entre chômage,...
  • ROMANTISME

    • Écrit par et
    • 22 170 mots
    • 24 médias
    ...économique. Ces événements ont certes causé un profond ébranlement. L'une des définitions les plus justes du romantisme est celle qui souligne en lui l'esprit de révolte : révolte métaphysique déjà chez quelques Allemands et chez Rousseau quand il s'écriait : « J'étouffe dans l'univers » ; mais aussi...
  • CAHIER D'UN RETOUR AU PAYS NATAL, Aimé Césaire - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 181 mots
    Le je laisse alors peu à peu la place au nous, et naît l'espoir d'une révolte et d'une « nouvelle croissance ». L'anaphore initiale du petit matin, associée à la colère et au désespoir, est reprise mais transformée positivement (« tiède petit matin »), tandis qu’au « négrillon somnolent » du...
  • CAMUS ALBERT (1913-1960)

    • Écrit par
    • 2 953 mots
    • 1 média
    Camus lui-même a séparé son œuvre, sans doute de manière trop rigide, en un « cycle de l'absurde » et un « cycle de la révolte » ; en fait, le sentiment de l'absurde, né d'une réflexion ontologique, accentué par la pesanteur de l'histoire devenue particulièrement angoissante, entraîne le mouvement de...
  • Afficher les 15 références