RÉVOLUTION INDUSTRIELLE

Le débat sur les origines de la révolution industrielle

« Expliquer » la révolution industrielle peut s'entendre en deux sens distincts, bien que complémentaires : il s'agit soit de dégager les mécanismes qui interviennent directement à l'origine de l'industrialisation, soit de remonter – parfois plusieurs siècles en amont – aux conditions préalables qui ont rendu possible la maturation du processus. Le débat sur les origines, plus vivant que jamais (Bairoch, 1997 ; Verley, 1997 ; Landes, 1998 ; Crouzet, 2000 ; Maddison, 2001), a progressé au fur et à mesure que le cas singulier de la Grande-Bretagne était replacé dans une perspective comparative plus large. Pourquoi la révolution industrielle n'est-elle pas advenue en France, plus vaste, plus peuplée et encore à tous égards nettement plus puissante que sa rivale au seuil du xviii^e siècle ? Aurait-elle pu éclore dans un autre foyer industriel de l'Europe des Lumières, ou plus tôt encore au sein de ce continent qui, dès le Moyen Âge, démontre avec éclat sa capacité d'innovation ? D'autres civilisations, telle la Chine, longtemps la plus avancée de toutes, n'auraient-elles pas pu devenir le berceau de l'industrie moderne avant même l'éveil de l'Europe ? En bref : pourquoi l'Europe ? pourquoi l'Angleterre ? et pourquoi précisément au xviii^e siècle, à ce stade de l'évolution anglaise ?

Pourquoi la primauté de l'Europe ?

La Chine des Song (960-1279) est indéniablement plus riche que l'Europe de son temps. Une agriculture évoluée, le développement des transports notamment par canaux, un large usage du papier-monnaie contribuent à l'essor des échanges à longue distance. Depuis les navires à aube ou à hélice jusqu'à la construction de machines à filer ou de hauts-fourneaux au coke pour produire du fer, les innovations techniques n'ont pas manqué. Jamais pourtant il n'en résulte un processus cumulatif comparable à celui de la révolution industrielle, et l'élan était déjà largement retombé lorsque la Chine, au xv^e siècle, se ferme aux relations avec le monde extérieur.

L'Europe suit une trajectoire inverse à celle de la Chine ou du monde musulman. La fragmentation politique de l'Europe médiévale, source d'infériorité immédiate face aux grands empires centralisés, peut être créditée d'avoir donné naissance à une concurrence pour le pouvoir, favorisant les franchises urbaines à travers l'alliance entre la royauté et les communes. L'émergence des États nationaux, la séparation du temporel et du religieux contribuent à faire progresser les droits et libertés ainsi que la sécurité des propriétés, et à laisser le champ ouvert aux initiatives individuelles. Les institutions les plus contraires à l'innovation et à la mobilité, comme le servage, amorcent très tôt en Europe occidentale un déclin de long terme. Cette esquisse d'ouverture sociale va de pair avec les avancées bien plus visibles de l'ouverture commerciale ; la supériorité acquise dans le domaine de la navigation – premier secteur à réaliser un enchaînement continu de progrès techniques – annonce l'expansion européenne à travers le monde. Les antagonismes nationaux provoquent des guerres coûteuses, mais n'empêchent pas l'essor des échanges de toute nature (que favorise souvent le rôle actif des minorités) : échanges commerciaux, relations financières, échanges intellectuels assurant à travers l'Europe une intense circulation des idées et des connaissances.

Le développement éducatif à tous les niveaux, depuis l'alphabétisation jusqu'au progrès scientifique, s'inscrit dans ce processus européen. Il dépend d'un cadre institutionnel compatible avec l'autonomie de la recherche intellectuelle, et favorise à son tour l'exercice[...]

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Écrit par

Jean-Charles ASSELAIN : correspondant de l'Institut, professeur émérite à l'université de Bordeaux-IV-Montesquieu

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Travail des enfants - crédits : Lewis Wickes Hine/ Library of Congress/ Corbis/ VCG/ Getty Images — Travail des enfants

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