RÉVOLUTION MILITAIRE
Débats et controverses
Le livre de Geoffrey Parker a donc contribué à relancer le débat. Lui aussi a été critiqué sous trois aspects différents. En 1991, Jeremy Black (A Military Revolution ? Military Change and European Society, 1550-1800) a mis en doute l'idée selon laquelle l'essor des forces armées en Occident aurait été causé par des facteurs technologiques. Les progrès techniques décisifs n'auraient été réalisés que dans la seconde moitié du xviie siècle, sous le règne de Louis XIV. Alors que, pour Michael Roberts et Geoffrey Parker, c'est la technologie de la poudre à canon, complexe et coûteuse, qui oblige les États à devenir plus efficaces et à mobiliser des ressources financières considérables afin d'entretenir une armée permanente, pour Jeremy Black, c'est bien parce que les États se sont modernisés qu'ils sont capables de mettre sur pied des armées plus performantes. La révolution étatique est donc un préalable à la révolution militaire.
Deux autres auteurs ont apporté des arguments aux thèses de Jeremy Black. Bert S. Hall (Weapons and Warfare in Renaissance Europe. Gunpowder, Technology and Tactics, 1997) suit avec précision la mise au point, par les Européens, de la technologie de la poudre, au cours des xve et xvie siècles. L'adoption de l'artillerie est lente et, pendant longtemps, son efficacité n'est pas évidente. Le canon de siège progresse, mais les fortifications rasantes annihilent ses effets au point qu'il devient impossible de prendre d'assaut une place correctement fortifiée. Quant à l'artillerie portative, elle reste longtemps peu précise, sa puissance de pénétration limitée et son usage sur le champ de bataille dangereux à cause du temps nécessaire à son chargement. Pendant longtemps, l'arquebuse reste une arme défensive utilisée à l'abri d'une fortification. Quant à en armer la cavalerie, le projet, tenté à la fin du xvie siècle, est vite abandonné, tant les contraintes techniques le rendent aléatoire. C'est l'utilisation conjointe de la cartouche et de la baïonnette qui donne à l'artillerie portative sa vocation offensive, à la fin du xviie siècle.
De son côté, John A. Lynn, qui a étudié l'armée française au xviie siècle (Giant of the Grand Siècle. The French Army, 1610-1715, 1997), observe une première augmentation sensible des effectifs pendant la guerre de Trente Ans (1618-1648). Mais cet effort, disproportionné compte tenu de l'armature administrative et fiscale rudimentaire de la monarchie, aboutit à une insurrection générale pendant la Fronde (1648-1652). Le véritable décollage se produit pendant les deux premiers conflits « mondiaux » que sont la guerre de la Ligue d'Augsbourg (1688-1697) et la guerre de Succession d'Espagne (1702-1714). Rentrées fiscales régulières, mise sur pied d'une administration militaire efficace, élaboration de la stratégie défensive du « pré carré » conçue par Vauban, énormes efforts de construction de citadelles, équipement massif des troupes en fusils, et donc augmentation considérable de la puissance de feu, toutes ces caractéristiques de la « révolution militaire », John A. Lynn ne les retrouve donc que tardivement, dans les dernières années du xviie siècle.
Tout le monde n'est pas d'accord sur ce qu'il faut mettre sous l'étiquette de « révolution militaire ». Le terme a aussi été utilisé pour définir les transformations de l'art de la guerre chez les Grecs (viie siècle avant J.-C.) ou, mieux encore, pour la période de la fin de l'Âge du bronze (1200 avant J.-C.). Mais les historiens conviennent aujourd'hui de la réserver à l'Europe moderne. L'expression, née confidentiellement en 1956, a renouvelé une histoire militaire désuète, en l'arrimant à l'histoire sociale, à l'histoire politique[...]
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Écrit par
- Jean-Michel SALLMANN : professeur d'histoire à l'université de Paris-X-Nanterre
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