RÉVOLUTION RUSSE
Événement politique majeur du xxe siècle, la révolution russe ou, plus exactement, les révolutions russes de l'année 1917 ont déterminé pour soixante-quatorze années (1917-1991) un cours nouveau dans l'histoire multiséculaire de la Russie, par une rupture radicale avec les structures politiques du tsarisme au profit d'un régime inédit qui donnait vie à toutes les utopies socialistes, si vigoureuses au début du siècle. D'une révolution spontanée qui renversa le tsarisme à la prise du pouvoir par le parti bolchevique, en passant par un bref intermède démocratique, se créèrent, en quelques mois, les conditions du succès d'une minorité agissante, dont l'action durant un bref mais décisif moment alla dans le sens des aspirations du plus grand nombre – la paix, la terre, le contrôle ouvrier – avant de diverger vers des décennies de dictature.
De la guerre à la révolution
Tous les contemporains en eurent, plus ou moins confusément, conscience : les événements révolutionnaires russes de l'année 1917 s'inscrivaient dans le grand cycle de bouleversements, de violences et de régression qui avait débuté le 1er août 1914, avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale.
En moins de trois ans, la guerre – une guerre totale, d'un type nouveau – allait provoquer l'effondrement du tsarisme, agissant comme un formidable révélateur des faiblesses d'un régime qui apparaissait encore en 1914 puissant et stable, bien ancré dans la voie d'un développement capitaliste accéléré depuis le début du siècle. En août 1914 (défaite de Tannenberg ), puis en mai 1915 (évacuation de la Galicie), les armées russes subissent de très graves revers. Néanmoins, malgré la perte de centaines de milliers d'hommes et d'immenses territoires (Pologne, Lituanie, Galicie), le front russe ne s'effondre pas. La décomposition vient, en réalité, de l'arrière. La fermeture des détroits et le blocus économique de la Russie fragilisent une économie largement dépendante de ses fournisseurs étrangers, et qui n'avait pas été préparée à une longue guerre d'usure. Dès le début de 1915, faute de pièces de rechange, le système des transports est désorganisé ; tout entière tournée vers l'effort de guerre, l'industrie ne fournit plus l'arrière en biens de consommation. Dans les campagnes, les paysans ne parviennent plus à acheminer leurs productions vers les villes. Le pays s'installe dans l'inflation et les pénuries. Les rapports, toujours précaires et tendus, entre villes et campagnes, se détériorent. Le pouvoir ne maîtrise plus la situation. Le tsar est déconsidéré par les revers militaires – il a pris en personne le commandement suprême des armées en septembre 1915 – comme par l'emprise qu'exerce sur le couple impérial son favori, Raspoutine, un charlatan illuminé. Tandis que la Douma ne siège plus que quelques semaines par an, gouvernements et ministres se succèdent, tout aussi incompétents et impopulaires. La rumeur publique accuse la coterie dirigée par l'impératrice, d'origine allemande, et influencée par Raspoutine, de préparer une paix séparée et d'ouvrir sciemment le territoire national à l'invasion étrangère. Devant la dissolution du pouvoir, s'organisent de toutes parts comités et associations de citoyens qui prennent en charge la gestion du quotidien : soins aux blessés (Comité de la Croix-Rouge), ravitaillement des villes et de l'armée (Union des villes, Union des zemstvos [assemblées locales]). Les Russes se gouvernent eux-mêmes : la révolution a déjà, en quelque sorte, commencé.
À la fin de l'année 1916, la situation politique devient très confuse : dans une atmosphère de crise politique révélée au grand jour par l'assassinat de Raspoutine (31 décembre 1916) perpétré par un membre[...]
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Écrit par
- Nicolas WERTH : directeur de recherche au CNRS
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