RÉVOLUTION RUSSE
Le premier gouvernement provisoire (mars-avril 1917)
Formé le 2 mars, le premier gouvernement provisoire est présidé par le prince Georges Lvov, entouré d'une majorité de représentants éminents du parti constitutionnel-démocrate (Pavel Milioukov aux Affaires étrangères ; Nikolaï Nekrassov aux Transports ; Andreï Chingarev à l'Agriculture). À la gauche de l'échiquier politique gouvernemental, Alexandre Kerenski, ministre de la Justice, est censé « faire le pont » entre le gouvernement et le soviet. En quelques semaines, ce gouvernement prend un train de mesures spectaculaires : libertés fondamentales, suffrage universel, amnistie générale, abolition de la peine de mort, suppression de toutes les discriminations de caste, de race ou de religion, reconnaissance du droit de la Finlande et de la Pologne à l'autodétermination. Malgré ces mesures réellement révolutionnaires, qui marquent une rupture radicale avec la culture politique de l'autocratie tsariste, le gouvernement doit faire face à une vague de revendications et d'actions difficilement contrôlables émanant des couches les plus diverses d'une société en révolution.
Les ouvriers demandent – et obtiennent, le plus souvent – la journée de huit heures, ainsi que des augmentations de salaire, vite absorbées néanmoins par une inflation galopante. Ils mettent sur pied des comités d'usine et des unités de « gardes rouges ». Les comités d'usine ont pour objectif de contrôler l'embauche et les licenciements, d'empêcher les patrons de procéder à des lock-out, sous prétexte de rupture d'approvisionnement, mais aussi de maintenir une certaine discipline du travail, de lutter contre l'absentéisme. Ces mesures constituent l'ébauche d'un contrôle ouvrier sur la marche des entreprises. Quant aux unités de gardes rouges, ce sont des milices ouvrières armées prêtes à défendre l'usine en tant qu'outil de travail des prolétaires, mais aussi à « défendre la révolution » contre ses « ennemis ».
Le gouvernement provisoire doit aussi faire face à l'agitation croissante qui gagne les armées. Dès le 1er mars 1917, le soviet de Petrograd a promulgué un texte fondamental, le Décret n0 1, véritable charte des droits du soldat. Ce texte abolit les règles de discipline militaire les plus vexatoires de l'ancien régime et permet aux soldats-citoyens de s'organiser en comités de soldats. Loin de se borner aux prérogatives, limitées, que leur donne le Décret n0 1, les comités de soldats outrepassent rapidement leurs droits, en viennent à récuser tel ou tel officier, prétendent en élire de nouveaux. Les unités sont progressivement gagnées par un « pouvoir soldat » qui déstabilise l'armée. Les désertions se multiplient. De mars à octobre 1917, plus de deux millions de paysans-soldats, fatigués de combattre, désertent. Leur retour au village alimente, à son tour, les troubles dans les campagnes.
Dans les villages, cependant, les désordres restent, durant le printemps de 1917, limités, surtout en comparaison avec ce qui s'était passé en 1905. La chute du tsarisme est l'occasion, pour les assemblées paysannes, de rédiger pétitions et motions exposant les doléances et les souhaits du peuple des campagnes. La question de la terre est au centre de tous les espoirs et de toutes les revendications. Les paysans exigent la saisie et la redistribution des terres de la Couronne et des grands propriétaires fonciers. Dans ces « cahiers de la révolution russe » (Marc Ferro) s'exprime avec force l'idéal paysan ancestral du « partage noir », en fonction des « bouches à nourrir ». Puisque la terre est un « don de Dieu », elle ne doit appartenir à personne. Chaque famille paysanne doit en avoir l'usufruit « à mesure de ce qu'elle peut mettre en valeur elle-même, sans l'aide de salariés ». Selon cette logique, « il[...]
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Écrit par
- Nicolas WERTH : directeur de recherche au CNRS
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