RÉVOLUTION RUSSE
Le second gouvernement provisoire (mai-juillet 1917)
La question de la paix ou de la guerre reste au centre des préoccupations du gouvernement de coalition. Principal théoricien du défensisme révolutionnaire, le menchevik Tseretelli élabore un plan de paix en deux volets : intervention auprès des gouvernements des pays belligérants pour les rallier à la formule d'une paix sans annexions ; organisation, à Stockholm, d'une conférence de tous les partis socialistes européens pour les convaincre d'imposer un plan de paix générale à leurs gouvernements respectifs. Cet ambitieux et utopique projet avorte dès le mois de juin 1917.
Après avoir échoué sur le front de la paix, le gouvernement de coalition n'a guère plus de succès sur celui de la guerre. Malgré l'éloquence légendaire du nouveau ministre de la Guerre, Alexandre Kerenski, qui effectue une mémorable tournée sur le front dans l'espoir de remonter le moral des troupes, la grande offensive russe du 18 juin 1917, attendue avec impatience par les Alliés depuis le début de l'année, s'enlise, après d'éphémères succès initiaux, au bout d'une semaine, faute de matériel et de munitions. Le 2 juillet, les Empires centraux lancent une contre-offensive victorieuse, qui fait reculer le front russe de cent à deux cents kilomètres.
À l'arrière, les tensions sociales se font plus vives. Dans les villes, les patrons refusent aux comités ouvriers, de plus en plus décidés, le contrôle ouvrier qu'ils exigent, et répondent aux grèves par des lock-out. Dans les campagnes, les comités agraires durcissent leur attitude, saisissent matériel agricole et cheptel des propriétaires fonciers, s'approprient les terres inexploitées, réévaluent d'autorité les baux à la baisse. Parallèlement à ces actions concertées se multiplient les actes individuels de violation de la légalité. Pour éviter l'anarchie, le gouvernement est contraint d'envoyer des troupes pour rétablir l'ordre. Pour accélérer le règlement de la question de la terre, il convoque la première session du Comité agraire national.
Dans le même temps, les mouvements des populations allogènes se développent. Les musulmans tiennent leur premier congrès « panmusulman » à Kazan (1er mai 1917) ; les Ukrainiens se dotent d'un « secrétariat général », forment des régiments nationaux et évoluent vers le séparatisme. Dans cette effervescence, ce foisonnement de pouvoirs autoproclamés ou démocratiquement élus, les bolcheviks, en marge de tous les partis de gouvernement, attisent toutes les formes de contestation de l'ordre établi. Toujours minoritaires dans les syndicats et les soviets, largement dominés par les socialistes modérés, les bolcheviks acquièrent, pour la première fois, à la fin de mai 1917, la majorité à la conférence des comités d'usine de Petrograd, où ils défendent l'idée du contrôle ouvrier.
La manifestation du 18 juin 1917, organisée par le soviet de Petrograd pour soutenir sa politique, révèle la montée en puissance des bolcheviks dans la capitale. Émaillée de violents incidents entre socialistes modérés et bolcheviks, elle consomme la scission des révolutionnaires russes.
Le problème de la poursuite de la guerre constitue, comme en avril, le catalyseur des journées des 3 et 4 juillet. Le 3 juillet, plusieurs régiments de la garnison, gagnés par la propagande bolchevique et craignant d'être envoyés sur le front, décident de passer à l'action et de « donner tout le pouvoir au soviet ». Tandis que les leaders socialistes modérés du soviet de Petrograd tentent de calmer les ardeurs de la foule qui entoure le palais de Tauride, les dirigeants bolcheviques sont eux aussi débordés, divisés (Kamenev et Zinoviev prônent la modération, Lénine est hésitant, Staline et Chliapnikov sont tentés de forcer le destin). Durant toute[...]
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Écrit par
- Nicolas WERTH : directeur de recherche au CNRS
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