RÉVOLUTION RUSSE
La crise de l'été de 1917
Durant l'été de 1917, le « pays réel » sombre peu à peu dans l'anarchie : l'économie, à bout de souffle après trois années de guerre, est quasi arrêtée ; les conséquences de cette faillite économique – chômage, inflation, problèmes de ravitaillement – pèsent sur un climat social de plus en plus tendu dans les villes. Dans les campagnes, les jacqueries se multiplient. Quant à l'armée, elle se délite rapidement, sous l'effet de mutineries et de désertions.
Face à cette situation, la tentation est grande, dans les milieux du patronat et dans l'état-major, de trouver un homme fort qui remettrait de l'ordre dans le pays. Depuis les journées de juillet, le climat politique a considérablement évolué. Désormais, les groupes de pression conservateurs – la Société pour la renaissance économique de la Russie, l'Union des grands propriétaires, l'Union des officiers de l'armée et de la flotte – occupent le premier rang dans les allées du pouvoir. Un pouvoir divisé, où de profondes rivalités mettent aux prises civils et militaires aspirant à la dictature, alors même que les piliers sur lesquels repose l'État – la justice, l'armée, l'administration – sont ébranlés sous les coups d'une révolution multiforme en marche.
Résolu à être le Bonaparte de la révolution russe et à éradiquer le « jacobinisme bolchevique », Alexandre Kerenski prend une série de mesures autoritaires : restauration de la peine de mort sur le front, limitation des droits des comités de soldats, envoi de troupes pour réprimer les révoltes agraires. Face à Kerenski, compromis aux yeux des conservateurs par ses liens avec le soviet de Petrograd et par son passé de révolutionnaire, même modéré, le haut commandement, les milieux patronaux et les Alliés, de plus en plus inquiets de voir la Russie sombrer dans l'anarchie, misent sur le général Lavr Kornilov commandant en chef des armées.
La rivalité entre Kerenski et Kornilov, tous deux prétendants au rôle de restaurateur de l'ordre, éclate en plein jour lors de la conférence d'État consultative qui réunit à Moscou, du 12 au 20 août 1917, représentants du patronat, des syndicats, des groupes professionnels, des officiers, des Églises et des partis politiques (bolcheviks exceptés). Lors de cette conférence qui prétend restaurer l'autorité de l'État et des groupes constitués face aux soviets et autres innombrables comités (d'usine, de quartier, de femmes, de salut public, etc.) surgis de la base au cours des événements révolutionnaires, Kornilov prend l'avantage sur Kerenski en présentant un programme radical : dissolution de tous les comités révolutionnaires, fin de toute intervention de l'État dans les domaines économique et social, militarisation des chemins de fer et des usines d'armement, rétablissement de la peine de mort à l'arrière...
Appuyé par le corps des officiers et par les conservateurs, Kornilov exige, le 26 août, un remaniement ministériel. Tandis que les ministres constitutionnels-démocrates démissionnent, Kerenski démet le généralissime Kornilov de ses fonctions. Mais celui-ci, qui avait déjà fixé au 27 août la date de son putsch, fait avancer ses troupes sur Petrograd. Dans l'épreuve de force qui s'engage, les bolcheviks manifestent leur « solidarité révolutionnaire » envers le gouvernement. Dénonçant le putsch, mettant à profit leur expérience de la clandestinité, ils contribuent, grâce à leurs relais parmi les cheminots et les comités de soldats, à enrayer l'avancée du généralissime. Ses dirigeants libérés, le parti bolchevique fait une rentrée spectaculaire sur la scène politique. Le soulèvement armé dans Petrograd, sur lequel comptait Kornilov, n'a pas lieu. En quarante-huit heures, le putsch est annihilé et le général Kornilov est arrêté.[...]
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Écrit par
- Nicolas WERTH : directeur de recherche au CNRS
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