Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

RHÉTORIQUE, notion de

Un modèle d'enseignement

Développée par Aristote, acclimatée à la latinité par Cicéron puis Quintilien, enfin intégrée par Augustin et les Pères de l'Église au christianisme, la rhétorique a considérablement changé de visage dans ces différentes périodes. Progressivement écartée au cours du Moyen Âge, elle fait retour pendant la Renaissance qui redécouvre les textes antiques. Elle établit les moyens de fabriquer un bon discours. Il s'agit d'abord de distinguer le choix de son sujet par l'inventio : c'est le moment d'établir éthos et pathos, de définir les arguments et les lieux du discours. Il faut ensuite procéder à son ordonnancement, ou dispositio : un texte bien construit fait se succéder l'exorde, l'énoncé de la thèse, la narration des faits, les preuves de la thèse soutenue, la réfutation de la thèse contraire et la péroraison. Vient ensuite le moment de la mise en parole, ou elocutio : la rhétorique indique comment articuler la phrase en périodes, entre abondance, ou copia, et économie, ou brevitas, analyse et codifie les figures propres à frapper l'esprit, distingue les styles qui conviennent aux différents objets et aux différents moments du discours, asianisme orné, laconisme, atticisme équilibré selon le modèle grec, ou humilité bucolique, « médiocrité » géorgique et grandeur épique selon le modèle latin. La mise en pratique du discours, c'est-à-dire la façon de le prononcer, ou actio, constitue la quatrième partie de la rhétorique, et indique quels gestes faire, quelle voix adopter. Enfin, la memoria indique comment le mémoriser.

Sous cette forme, la rhétorique devient un modèle d'enseignement développé dans la plupart des écoles. Elle inspire les exercices imposés : la culture rhétorique moderne est une culture de la production du discours. Le modèle perdure jusqu'au xixe siècle, lorsque la classe de rhétorique vient couronner les études. Mais il n'est pas hégémonique, et connaît très tôt des critiques. La rhétorique se développe au cours de la Contre-Réforme catholique, et notamment chez les Jésuites, qui y voient un moyen de reconquérir l'âme des fidèles, et de permettre aux catholiques d'exercer un rôle dans la cité pour ramener le politique dans le giron de l'Église. Elle suscite dès lors la méfiance des protestants ou de certains augustiniens et jansénistes : Pascal rappelle que « la vraie éloquence se moque de l'éloquence ». Mais la critique n'est pas qu'idéologique : Bossuet lui-même n'hésite pas à dénoncer « les fausses couleurs de la rhétorique ». Ainsi, la condamnation platonicienne ne cesse de hanter l'histoire de la rhétorique. Sa présence au xviie siècle, dans les procès faits à la fiction, s'allie souvent à la même dénonciation des pouvoirs du langage ; dénonciation d'autant plus forte que les guerres de Religion ont pu montrer leur caractère dangereux : la querelle du purisme trahit par exemple une volonté d'apaiser la langue qui s'accompagne d'une critique de la rhétorique pratique.

La suppression de la Compagnie de Jésus, en 1773, ne marque pas la fin de l'enseignement rhétorique. Il persiste, en effet, par le biais du modèle anglo-américain (représenté notamment par Campbell et Blair), très présent auprès des libéraux français, qui l'imposent dès la Restauration, puis pendant le second Empire. La rhétorique tend ainsi à occuper tous les lieux de la parole publique, la chaire, le barreau, le Parlement. Pourtant, le romantisme, en imposant l'idée d'une littérature conçue comme écriture, comme « parole muette », pour reprendre le titre d'un essai de Jacques Rancière (1998), a rompu avec la scène rhétorique, qui n'est plus première pour penser le littéraire. L'œuvre ne se comprend plus comme image d'une[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres modernes, université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Autres références

  • GENRES LITTÉRAIRES, notion de

    • Écrit par
    • 1 847 mots

    Avant d'être une notion problématique, inscrite dans une histoire et lourde d'enjeux esthétiques, les genres littéraires sont, pour la plupart d'entre nous, une réalité éditoriale, indissociable de notre expérience concrète : ils circonscrivent des territoires (le rayon « poésie » d'une...

  • ALLÉGORIE, notion d'

    • Écrit par
    • 1 455 mots

    Une première conception de l'allégorie provient de la rhétorique (Cicéron, Quintilien) : elle définit comme une « métaphore continuée » cette manière de parler qui désigne une chose par une autre (du grec allos, « autre », et agoreuein, « parler en public »). La métaphore...

  • ARTS POÉTIQUES, notion de

    • Écrit par
    • 1 333 mots

    On désigne par l'expression « art poétique » les textes qui élaborent une doctrine à la fois descriptive et prescriptive de la création littéraire. L'adjectif « poétique » ne renvoie donc pas ici au genre de la poésie lyrique, comme sa signification courante pourrait...

  • DÉBAT, genre littéraire

    • Écrit par
    • 347 mots

    Le terme générique « débat » correspond à une série de genres poétiques dialogués que les trouvères et les troubadours cultivaient depuis le début du xiie siècle : d'abord en latin, sous le nom de disputatio, puis en langue vulgaire ; il est appelé tenson ou jocpartit...

  • DESCRIPTION, notion de

    • Écrit par
    • 985 mots

    La description permet de donner à voir en imagination, grâce au langage. Elle constitue une pause, un contretemps dans le flux du récit. Sa finalité représentative semble ainsi l'opposer aux visées narratives de ce dernier. Toutefois, cette distinction théorique est plus complexe dans la pratique,...

  • DIALOGUE

    • Écrit par et
    • 4 423 mots
    • 1 média

    L'entrée en dialogue paraît d'autant plus désirable que le partenaire est plus différent ou plus lointain. Le dialogue répond à une préoccupation éthique – il serait l'antiviolence par excellence – et à un souci politique : comment améliorer la circulation de l'information de manière...

  • DIDACTIQUE POÉSIE

    • Écrit par
    • 531 mots

    Poésie qui dispense un enseignement (philosophique, moral, scientifique, technique, etc.) en le parant des agréments propres à la poésie. Le vers, de par ses vertus mnémoniques, a été utilisé dès les origines pour fixer une leçon (oracles, sentences...) ; aux débuts de la littérature grecque, il...

  • ÉPOPÉE, notion d'

    • Écrit par
    • 1 628 mots

    Dans la tradition classique, l'épopée, long poème narratif consacré à glorifier un héros par le récit de ses actions, est considérée comme le grand genre poétique. Les œuvres majeures de la littérature grecque et latine sont des épopées, qui vont devenir le prototype du genre : ...

  • FABLE

    • Écrit par
    • 3 260 mots

    La fable n'est-elle vraiment – comme le veut la définition traditionnelle – qu'un bref récit mettant en scène des animaux ? Mais Le Chat botté et Le Petit Chaperon rouge, où l'on voit intervenir des bêtes, sont appelés contes et non fables. Comment oublier aussi qu'au ...

  • PARODIE, art et littérature

    • Écrit par
    • 1 229 mots

    Exercice de virtuosité en même temps que démonstration de liberté, condamnée à dépendre de l'original qu'elle détourne, et, comme la satire, prisonnière du contexte et victime du temps, la parodie constitue une approche instructive des œuvres, des styles et des genres qu'elle rabaisse...

  • SATIRE

    • Écrit par
    • 2 693 mots
    • 1 média

    Il ne s'agira dans cet article que de la satire littéraire. Or, même littéraire, la satire est une des formes les plus difficiles à cerner. Où la tragédie et la comédie, voire le roman, offrent l'appui, même incertain, d'une formule consacrée, et semblent occuper un domaine délimité, la satire...

  • TRAGÉDIE

    • Écrit par , et
    • 5 376 mots
    • 2 médias

    La tragédie naît en Grèce au vie siècle avant J.-C., mais c'est à Athènes, au cours du ve siècle, qu'elle trouve sa forme littéraire achevée. Les œuvres tragiques qui nous sont parvenues et que les Grecs nous ont transmises parce qu'ils les jugeaient dignes d'être conservées (trente-deux...

  • ILIADE, Homère - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 974 mots
    • 1 média

    Au milieu du viiie siècle avant J.-C., un poète grec venu d'Asie Mineure, Homère, aurait composé en hexamètres dactyliques deux magistrales épopées, l'Iliade et l'Odyssée, mais le mystère entoure encore aujourd'hui ces deux textes : Homère a-t-il réellement existé ? A-t-il...

  • CONFESSIONS, Augustin - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 944 mots

    Les Confessions, ouvrage de saint Augustin (354-430) le plus célèbre avec La Cité de Dieu, furent rédigées de 397 à 401. L'auteur s'adresse directement, dans un dialogue intime, à ce Dieu qu'il avait tant cherché « en labeur et fièvre » ailleurs que là où le Dieu d'amour l'attendait,...

  • DE L'ORATEUR, Cicéron - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 729 mots

    Tribun et magistrat romain, Cicéron (106-43 av. J.-C.) s'est fait le théoricien de l'éloquence, principalement dans le De Oratore (55 av. J.-C.), somme de l'art oratoire en trois livres, reçue depuis la Renaissance comme le meilleur témoin de l'humanisme antique. Sur le même sujet,...

  • DIALOGUE DES ORATEURS, Tacite - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 763 mots

    Le Dialogue des orateurs (Dialogus de Oratoribus, vers 105 apr. J.-C.), dont on considère aujourd'hui que l'auteur est très probablement Tacite (vers 55-vers 120), fait délibérément écho, à un siècle et demi de distance, au grand traité latin de Cicéron, le De Oratore : même sujet...

  • Afficher les 29 références