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RHÉTORIQUE

Invariants et variations

C'est ainsi que l'on trouve, moins dans l'université médiévale dominée par la dialectique que dans la classe de rhétorique des collèges à partir de la Renaissance, en latin chez les jésuites jusqu'au xviiie siècle, en français dans les lycées jusqu'à la fin du xixe, des manuels qui retransmettent ne varietur la tradition classique telle qu'elle s'était fixée vers le ive siècle de notre ère, sous la forme d'une méthode procédant étape par étape à la fabrication d'un discours : trouver quoi dire (inventio), mettre en ordre ce que l'on a trouvé (dispositio), rédiger ce que l'on a mis en ordre (elocutio), présenter oralement ce que l'on a rédigé (actio) ;en anglais, invention, method, style et delivery. À chacune de ces étapes est attaché un corps de savoir : à l'invention, ethos et pathos, et, pour le logos, arguments et lieux communs ; à la disposition, un plan type en six parties : exorde, thèse soutenue et narration des faits, preuve de la thèse soutenue, réfutation de la thèse adverse, péroraison ; à l'élocution, l'art de la période, des styles et des figures ; à l'action, la maîtrise du geste et de la voix, et l'exercice de la mémoire. L'ensemble étant subordonné à la règle primordiale de convenance ou d'à-propos.

Ces préceptes, illustrés de nombreux exemples, s'accompagnent d'exercices gradués, en latin et en français : dès la classe de troisième, les progymnasmata, fixés au Bas-Empire par Aphtonios, repris dans le Candidatus rhetoricae des pères Pomey et Jouvancy de 1662 à 1892, vont de l'amplification, qui consiste à rédiger une ou deux pages à partir d'un argument bref accompagné de consignes linguistiques (forme affirmative ou interrogative, véhémente ou mesurée, d'ironie ou de respect, etc.), jusqu'à la fable, alliant à une narration une sentence morale, en passant par la chrie, illustrant une sentence-titre au moyen d'un dialogue et vice-versa. En classe de première ou rhétorique viennent les compositions de longue haleine, où l'élève mobilise, autant que sa compétence formelle, ses connaissances historiques et son jugement esthétique ou éthique. Le parallèle « à la Plutarque » – Condé et Turenne, Richelieu et Mazarin, Descartes et Newton, Corneille et Racine – se tient au discours indirect ; mais c'est au discours direct que s'exprime l'élève de rhétorique dans les discours proprement dits : la declamatio ou harangue, civile ou militaire (lettre d'un père à son fils le conseillant sur ses études ; Hannibal, lors du passage des Alpes, soutient le courage de ses troupes épuisées), et la disputatio ou controverse ou cause, où s'affrontent plusieurs partis (discours de deux sénateurs marseillais conseillant tour à tour au Sénat de leur ville, alors assiégée par César, l'un la résistance, l'autre la reddition). Chaque élève accède donc au monde adulte des fonctions politiques, culturelles et morales, en incarnant à la première personne une gamme de personnages historiques ou fictifs pris dans des situations précises ; libre créatif, surprenant s'il le peut – les copies de Michelet, Flaubert, Jaurès en témoignent éloquemment – dans l'exécution d'une performance assignée, comme en un théâtre où la trame d'une intrigue étant fournie et les rôles distribués, chacun composerait à sa guise ses répliques. La maîtrise de la parole en acte s'acquiert donc par identification à distance : tel est le ressort théâtral de la formation rhétorique, de l'Antiquité au xixe siècle. Avec la dissertation, qui triomphe en France vers 1890, l'élève n'est plus un orateur potentiel mais un critique en herbe : Corneille et Racine... seul survit ici le parallèle littéraire,[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en linguistique française à l'université de Provence-Aix-Marseille-I

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