RHINOCÉROS, Eugène Ionesco Fiche de lecture
Créé le 6 novembre 1959 à Düsseldorf par la Schauspielhaus dans une mise en scène de Karl-Heinz Stroux, et donné pour la première fois en France l'année suivante à Paris, au théâtre de l'Odéon par Jean-Louis Barrault, Rhinocéros, qui fut d'abord une nouvelle publiée en 1957 dans les Lettres nouvelles, occupe une place à part dans l'œuvre d'Eugène Ionesco (1909-1994). Si l'on cite volontiers en exemple les quarante ans de représentation ininterrompue de La Cantatrice chauveau théâtre de la Huchette à Paris, on oublie que les premières pièces du dramaturge d’origine roumaine suscitèrent l'incompréhension, à l'exception de quelques précoces admirateurs, ceux-là mêmes qu'allait décevoir cette fable à la moralité trop limpide, alors qu'elle valait à son auteur son premier grand succès.
Bérenger, le dernier homme
La pièce se compose de trois actes. Le premier constitue une sorte de préambule : dans une petite ville de province au décor stéréotypé, Jean, homme entreprenant et autoritaire, reproche à Bérenger, sorte de Charlot égaré dans la vie, son laisser-aller et son manque de volonté. Leur discussion est interrompue par le passage d'un rhinocéros. L'événement a priori incongru suscite de la part des citadins présents – une ménagère, un épicier et une épicière, un patron de café et sa serveuse, un vieux monsieur et un logicien – une série de réflexions et d'interrogations décalées et inadaptées (le rhinocéros vient-il d'Afrique ou d'Asie ?), révélant un fonctionnement purement mécanique de la pensée et du langage, dont la pseudo-rationalité échoue à saisir si peu que ce soit la réalité.
Le deuxième acte est divisé en deux tableaux. Dans le bureau de l'administration où travaille Bérenger, Daisy, la dactylo dont il est épris, Botard, inspecteur retraité, Dudard, sous-chef, et M. Papillon, chef de service, commentent la situation. Les propos des uns et des autres confirment leur incapacité à se défaire de leurs préjugés et à oublier leurs intérêts à courte vue. Pourtant, on apprend bientôt que M. Bœuf, l'un des employés, vient de se transformer en rhinocéros. Le tableau se termine sur la vision burlesque de Mme Bœuf sautant à califourchon sur le dos de son pachyderme de mari. Le second tableau est tout entier occupé par la visite de Bérenger à Jean, et par la métamorphose de ce dernier, sous les yeux horrifiés de son ami.
Au cours du troisième acte, la « rhinocérite » gagne du terrain. Tous sont finalement contaminés, sauf Bérenger qui résiste jusqu'au bout à la tentation et affirme, dans le long monologue qui clôt la pièce, sa foi dans les valeurs humanistes : « Hélas, jamais je ne deviendrai un rhinocéros, jamais, jamais ! Je ne peux plus changer, je voudrais bien, je voudrais tellement, mais je ne peux pas. Je ne peux plus me voir. J'ai trop honte ! (Il tourne le dos à la glace.) Comme je suis laid ! Malheur à celui qui veut conserver son originalité ! (Il a un brusque sursaut.) Eh bien, tant pis ! Je me défendrai contre tout le monde ! Ma carabine, ma carabine ! (Il se retourne face au mur du fond où sont fixées les têtes des rhinocéros, tout en criant.) Contre tout le monde, je me défendrai ! Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu'au bout ! Je ne capitule pas ! »
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
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