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RHINOCÉROS, Eugène Ionesco Fiche de lecture

« Du Marx Brothers chez Kafka » (J.-L. Barrault)

Souvenir encore vivace du second conflit mondial, déchirements de la guerre d'Algérie, exacerbation des oppositions idéologiques en pleine guerre froide : la réception houleuse de Rhinocéros est indissociable du contexte politique des années 1950. Plutôt lue comme une dénonciation du stalinisme (Ionesco était ressortissant d'un pays de l'Est), la pièce fut majoritairement acclamée à droite et, partant, sifflée à gauche, à l'exception de quelques critiques auxquels les nombreuses et évidentes références au nazisme n'échappèrent pas. Quoi qu'il en soit, l'œuvre a souffert de sa réputation de pièce à thèse, à laquelle Ionesco lui-même contribua en se soumettant de bonne grâce au jeu de l'interprétation, en dépit de son hostilité, maintes fois réaffirmée, au théâtre engagé.

Or, si Rhinocéros est bien cette fable mordante contre le conformisme (bien plus que contre le pouvoir totalitaire proprement dit, perçu moins comme une violence extérieure que comme une contagion interne), elle ne saurait se réduire à cette dimension didactique. On retrouve notamment ici bien des motifs thématiques et formels déjà rencontrés dans les pièces précédentes : le premier acte, en particulier, n'est pas sans rappeler l'atmosphère étrange, à la fois fantastique et burlesque, de La Cantatrice chauve (1950) ou des Chaises(1952), exprimée avant tout par les dérèglements du langage, dont la mécanique bien huilée menace à tout instant de s'emballer et de plonger dans l'absurde.

Par ailleurs, la gageure technique que constitue la « représentation », face à un public, d'une métamorphose aussi spectaculaire, fait de tout choix de mise en scène – entre pseudo-naturalisme et symbolisme – l'illustration d'une réflexion sur le théâtre. C'est à quoi invitait Jean-Louis Barrault, lorsqu'il affirmait en 1966 : « Aujourd'hui, le prétendu message paraît tellement évident que nous sommes surtout emportés par la jubilation charnelle. En effet, du commencement à la fin, ce ne sont que sensations. Or ce qui est pour moi du théâtre [...] appartient essentiellement au monde de la sensation. »

— Guy BELZANE

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