PIGLIA RICARDO (1941- )
En 1990 paraît à Buenos Aires Critique et fiction (Crítica y ficción), un livre d'entretiens dont le titre résume bien les deux lignes de force de l'œuvre de l'écrivain argentin Ricardo Piglia : « En ce qui concerne la critique – affirme-t-il –, je pense que c'est une des formes modernes de l'autobiographie. On écrit sa vie quand on croit écrire ses lectures. » Dans l'œuvre de cet écrivain, né à Adrogué le 24 novembre 1941, discours critique et fiction s'interpénètrent constamment. On en veut pour preuve, par exemple, l'intérêt qu'il porte aux écrits de Roberto Arlt (1900-1942), dont débattent certains personnages de Respiration artificielle(Respiraciónartificial, 1980), où l'influence de Arlt sur la littérature argentine est mise en parallèle avec celle de Borges. Piglia a préfacé les Cuentoscompletos de Arlt parus à Buenos Aires en 1996, et considère cet écrivain comme l'initiateur de la modernité littéraire en Argentine. Par ailleurs, une des nouvelles de Faux Nom (Nombre falso, 1975) – où la critique a vu un retour de la littérature « à contenu » face à une écriture qui, à l'époque, semblait avant tout préoccupée d'elle-même –, attribue à Roberto Arlt un texte apocryphe, où les personnages, le langage et l'atmosphère renvoient effectivement à cet auteur, mais dont le thème de la recherche d'un livre perdu évoque plutôt certaines nouvelles célèbres de Borges. Dans un recueil d'essais publié en 2000 et intitulé Formas breves, Piglia reviendra une fois encore sur Arlt, l'écrivain qui a saisi « le noyau paranoïaque du monde moderne : l'impact des fictions publiques, la manipulation de la croyance, l'invention des faits, la fragmentation du sens, la logique du complot. »
Dans ce recueil, Piglia republie également un texte qui figurait déjà dans Critique et fiction : « Thèse sur le conte », où il développe l'idée d'un double niveau de lecture inhérent à l'art de la nouvelle : sous le texte apparent, il y en aurait un autre caché, secret, elliptique, fragmentaire, qui serait « la clef de la forme de la nouvelle ». L'effet de surprise se produit quand le final de l'histoire secrète affleure à la surface de la nouvelle. L'autre postulat personnel sur lequel Piglia s'appuie constamment dans sa démarche créatrice, c'est l'abolition totale des frontières entre les genres, comme l'illustre Respiration artificielle, le roman qui va lui conférer une renommée nationale et continentale. Dans ce livre qui passe du roman épistolaire au dialogue rapporté, de la parodie au journal intime, de l'érudition littéraire à l'essai sur l'exil – cette « longue insomnie » –, sur la mémoire, l'utopie et l'écriture de l'histoire, les personnages s'interrogent constamment sur l'éventualité d'une coïncidence entre l'ordre du récit et celui de la vie, sur « l'étrange connexion entre les livres et la réalité ». « Y a-t-il une histoire ? », se demande d'emblée le narrateur, en jouant sur la polysémie du terme qui renvoie à la fois à la fiction et à l'écriture de l'historien. Cette interrogation, véritablement subversive dans un pays écrasé à l'époque sous le poids de la dictature militaire, pose l'histoire – au même titre que la littérature – comme alternative au discours autoritaire et comme « respiration » en des « périodes obscures où les hommes semblent avoir besoin d'air artificiel pour survivre ».
La Ville absente (La Ciudad ausente, 1992) présente le même degré de complexité, mais dans un registre proche du fantastique. Macedonio invente une machine qui annule la mort d'Elena, la femme aimée, au terme « de mois et de mois enfermé dans son atelier, à reconstruire[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Claude FELL : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Autres références
-
RESPIRATION ARTIFICIELLE, Ricardo Piglia - Fiche de lecture
- Écrit par Claude FELL
- 861 mots
Publié en 1980, en pleine dictature militaire, Respiration artificielle (Respiración artificial), le premier roman de l'écrivain argentin Ricardo Piglia (1940-2017) pose dès sa première phrase une question brûlante dans un pays où la censure et la répression font rage : « Y a-t-il une histoire...