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RICERCAR (F. Tanguy)

On les a dit enfants de Tadeusz Kantor. On les a comparés à Bob Wilson. Ils n'ont été jamais qu'eux-mêmes. Depuis trois décennies, le Théâtre du Radeau et François Tanguy sont les grands ordonnateurs d'un théâtre à nul autre pareil. Devenus une référence pour les nouvelles générations, le parcours de ces francs-tireurs de la scène est ponctué de créations aussi envoûtantes que singulières, élaborées à l'abri de leur laboratoire du Mans, la Fonderie, où ils se sont installés en 1992.

C'était quinze ans après la fondation de la troupe par quelques fous de théâtre, qui se sont retrouvés dans le même refus des beaux spectacles à grandes images et grands effets d'acteurs. François Tanguy, « écrivain de plateau » comme l'appelle Bruno Tackels (François Tanguy et le Théâtre du Radeau, 2005), les rejoint en 1982. Ensemble, ils privilégient l'improvisation, cherchent à capter la lumière, s'approprient la musique, la peinture, la sculpture, les textes de toute nature pour en faire la matière première de leur future création.

Dom Juan est leur premier spectacle. Suivent, entre autres, L'Éden et les cendres (1983), Le Songe d'une nuit d'été (1985), Mystère Bouffe (1986), Woyzzeck-Fragments forains (1989), Choral (1994), Bataille du Tagliamento (1996), Les Cantates (2001) et Coda (2004).

C'est dans cette suite que s'inscrit Ricercar, présenté en 2008 au festival d'Avignon, où François Tanguy et le Théâtre du Radeau étaient pour la première fois invités. Le spectacle a ensuite été donné au Théâtre de l'Odéon. Le titre désigne à l'origine une pièce instrumentale italienne du xve siècle, fondée sur la reprise et la répétition des motifs, et qui donnera naissance à l'art de la fugue. C'est aussi le dérivé du verbe ricercare qui signifie rechercher, parcourir, faire le tour. Il donne sa couleur au spectacle : une partition chorale où la parole, la musique et les visions s'entrelacent et se fondent en une suite de séquences fascinantes, habitées par sept acteurs aux visages fardés de blanc, dont certains, comme Laurence Chable, appartiennent à la troupe depuis ses débuts.

Ricercar est une symphonie, un chant profond, C'est aussi une invitation à l'errance, la traversée d'un imaginaire grave et poétique. Dans un espace incertain, meublé de tables, de chaises et de lampes comme surgies d'un bric-à-brac, des figures – êtres de chair ou hallucinations ? – apparaissent, disparaissent, s'étreignent, baignant dans une lumière crue ou se découpant sur le plateau à la manière d'ombres chinoises. Femmes en robes du xixe siècle, hommes en costumes gris, les uns réunis pour une noce, les autres pour un enterrement, ils se parlent ou soliloquent. Parfois, ils laissent s'échapper en de multiples langues des bribes d'œuvres de Dante, Mandelstam, Büchner, Leopardi, Pirandello, Gadda ou Pound, mais aussi Fellini et bien sûr, Kafka, régulièrement convié dans les spectacles du Théâtre du Radeau (Bataille du Tagliamento, notamment, créé à partir du rêve raconté par l'écrivain dans son Journal). Le spectateur attrape au vol ces paroles. Par à-coups, des musiques empruntées à Scarlatti, Beethoven, Verdi, Berg, Berio, Kurtág, Sibélius. se font entendre, entrecoupées de plages de silence suspendant le temps. Le cirque, la danse, le vaudeville et le tragique sont aussi convoqués, comme autant de possible tonalités.

Dans le tohu-bohu de la musique et des voix qui s'élèvent, les unes couvrant les autres à l'occasion, les séquences se juxtaposent, en autant de fragments fugitifs. Rien n'est figé. Le plateau devient une immense machine à métamorphoses, une fabrique d'instants sans hiérarchie avouée, sans logique apparente, sinon celle de la discontinuité et du heurt, du glissement progressif et de la transformation[...]

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Écrit par

  • : journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à La Croix

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