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ARTSCHWAGER RICHARD (1923-2013)

« Chose mentale »

Par un acte tout à fait magrittien (Artschwager se réclame d'ailleurs de l'œuvre de Magritte), qui consiste à recourir à la peinture de l'idée, à la relation entre le mot et l'image en une sorte de renonciation au monde sensible pour aller vers le monde intelligible de l'ordonnancement des choses, Artschwager affirme que ses objets sont « chose mentale ». Le stimulus qu'ils provoquent est à la fois intellectuel et physique : chaque objet vient prendre place dans une chaîne d'autres objets qui ne forment un ensemble que dans la mesure où ils sont expérimentés en même temps qu'ils sont pensés. La mise en situation de ces objets suppose également une rencontre avec le corps et la réflexion d'autrui, avec lequel nous partageons le même monde perceptif et le même système de références par rapport à une chaise, une table, un événement. Mais que partageons-nous exactement lors de cette expérience commune ? Il semble que ce soit justement la tentative de classer des objets qui entrent dans notre champ de vision et dans notre vécu.

Devant le puissant autisme de l'œuvre, nous cherchons la correspondance mentale et physique entre le monde de l'objet d'art et notre monde subjectif tout en prétendant que la notion de classement est applicable aux deux instances, ce qui tend à faire sortir l'œuvre du silence pour la faire advenir au langage. Pour signaler cela, Artschwager dissémine ce qu'il nomme des « blp » et prononce blip (rectangles noirs aux bords arrondis de tailles variables en bois ou peints), qu'il place sur les murs comme une mystérieuse écriture musicale, ainsi que de gigantesques signes de ponctuation en bois – accolades, points de suspension, points d'exclamation –, suspendus au-dessus des tables ou des chaises, ou placés à côté, et qui ne relient aucune phrase alors que ce sont grammaticalement des liens logiques entre les mots. Avec les signes de ponctuation, qui sont la plus petite unité signifiante de la langue, Artschwager peut là aussi faire signe, simplement en donnant une indication au spectateur, et cette forme d'abstraction permet de marquer les objets sans leur donner un sens précis, de ponctuer l'espace dans lequel ils se trouvent. Comme le mot qui ne prend sens que d'après son fonctionnement au sein de la langue, l'objet ne prend sens qu'à l'intérieur des autres objets et qu'à l'intérieur du monde de l'art. Mais, en nous rappelant que l'œuvre d'art ne fait signe vers un monde d'objets triviaux que pour mieux se définir elle-même, Artschwager réaffirme ce curieux paradoxe, où elle trouve pourtant sa raison d'être, en la situant à la limite de l'usuel et de l'art sans finalité.

— Jacinto LAGEIRA

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Écrit par

  • : professeur en esthétique à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art

Classification

Autres références

  • HYPERRÉALISME

    • Écrit par
    • 3 196 mots
    ...reproduction, les « images d'images », tout en limitant leurs référents à la photographie, sans aller jusqu'aux comics ni jusqu'à la bande dessinée. Mais ce qui intéresse des artistes comme Artschwager, Close ou Morley, à la naissance de ce qu'on appelle alors Photo-Realism, c'est l'affirmation...