Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

BAQUIÉ RICHARD (1952-1996)

Le nom du sculpteur français Richard Baquié est presque toujours associé à l'image d'un « bricoleur sensoriel » et sentimental ; en même temps, son œuvre évoque un ensemble d'objets, d'assemblages, de machines et de dispositifs au caractère « poétique et narratif » construits à partir de matériaux de récupération. Fidèle à l'artiste comme à l'œuvre, ce portrait manque pourtant l'essentiel, c'est-à-dire cela même qui ne fait pas craindre à Michel Enrici d'affirmer, à l'occasion de l'exposition d'Amore mio en 1985 au musée d'Art contemporain de Marseille : « Richard Baquié a organisé le 16 décembre à l'Arca un espace cathartique. La dramaturgie autant que la sculpture étaient présentes ce soir-là et ce que nous avons vu tenait du miracle. [...] Ce ne pouvait être la sculpture que nous aimions mais plutôt la somme des récits qu'elle mettait en branle et la cohorte de sensations qui les accompagnait. »

Les sculptures de Baquié sont toutes le lieu éminent d'une rencontre. En chacune d'elles se croisent et se répondent l'hypothèse d'une histoire, le souvenir d'une aventure ou le rêve d'un projet, l'évidence de la solitude et du désir, celle du temps passé, le pouvoir donné aux mots et aux objets de (re)construire un monde. Il ne s'agit plus de produire des objets mais de conjoindre l'espace physique et matériel de la sculpture à la réalité d'un espace mental où, ainsi que plusieurs dessins le proclament, « l'errance est fondatrice ».

Œuvre capitale et paradigmatique, Amore mio est une voiture découpée, éclatée en quatre parties (Plymouth Sud, Nord, Est et Ouest) : à l'est, la vitre de la portière gauche simule une immense roue en forme de carrousel où défile à toute vitesse la séquence d'un accident, ponctuée par un éclairage stroboscopique ; à l'ouest, l'autre portière donne sur une flèche façonnée en tôle d'aluminium et recouverte de givre ; un long conduit métallique draine l'air qu'un ventilateur pousse vers le coffre, au nord, où le chuintement d'un programme radiophonique se confond avec des voix enregistrées à Marseille ; au sud, sur le capot, l'eau chaude d'un réservoir s'écoule à l'intérieur des lettres du titre de l'œuvre, Amore mio, gravé dans un bloc de béton. Plymouth est difficilement assignable aux ordres généraux de la sculpture ou de l'installation : l'œuvre devient le support parcourable d'une expérience émotionnelle inédite.

Rien ou peu à voir, donc, avec le nouveau réalisme, ni même avec l'Experiment in Art and Technology de Robert Rauschenberg.

Le monde de Richard Baquié n'est ni d'abord ni seulement celui de l'art, vis-à-vis duquel il prendra d'ailleurs ses distances quand, en 1987, l'exposition au Musée national d'art moderne d'un avion découpé lui garantira une réputation dangereusement définitive. Le monde que son œuvre cristallise s'imprègne de son passé (Richard Baquié fut chauffeur de poids lourds, soudeur, moniteur d'auto-école avant d'intégrer les Beaux-Arts de Luminy), d'un échange permanent avec d'autres disciplines (sa dernière œuvre, Tôt ou tard, un cube en verre brisé, fut en 1995 le lieu d'une représentation unique impliquant metteur en scène, compositeur, acteurs et cameraman), de son affection lucide et jamais démentie pour Marseille, sa ville natale, où sa vie croisait des visages et des cultures multiples, les voyages et l'histoire, la misère et le soleil, la proximité du lointain, l'effervescence quotidienne mêlée au désespoir.

C'est dans ce rapport critique vis-à-vis de la sculpture et de la culture qu'il faut comprendre la prédilection de Richard Baquié pour les décharges urbaines[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification