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BRAUTIGAN RICHARD (1935-1984)

Né en 1935 dans une famille ouvrière à Tacoma (État de Washington), Richard Brautigan mit fin à son existence un jour d'octobre 1984 à Bolinas, en Californie. C'est en Californie, déjà, qu'émerge dans les années cinquante, aux côtés des beats de San Francisco, ce personnage qui publie alors d'étranges recueils de poèmes ; leurs titres accolent des éléments trop disparates pour ne pas laisser filtrer un humour provocateur : L'Autostoppeur de Galilée, Frontière de la pieuvre, Sous la haute surveillance de machines pleines d'amour et de grâce... Avec Le Général sudiste de Big Sur (1964), La Pêche à la truite en Amérique (1967) et Sucre de pastèque (1968) se dessine l'image qui fera son immense succès (ses livres seront vendus à des millions d'exemplaires) et qui lui collera à la peau au point de lui interdire une véritable évolution. Dans ces livres, auxquels il faut ajouter un recueil de nouvelles, La Revanche de la pelouse (1971), et un quatrième roman, L'Avortement (1971), Brautigan invente une écriture très originale qui fait songer, par certains aspects, à Boris Vian (audace des images, discontinu du récit qui cède constamment le pas à une poésie de l'absurde) et crée un monde qui mêle volontiers paysages utopistes et anarchisme joyeux. La critique du rêve américain, dans La Pêche à la truite, est féroce ; elle se donne à sentir sous la fragmentation formelle (il s'agit d'un collage de brèves vignettes) et l'ironique démolition d'une pastorale de plus en plus mythique. Cet ouvrage, impossible à définir, le consacre : on dira « brautiganesque » toute image vaguement ou franchement surréalisante (« ses yeux étaient pareils aux lacets d'un clavecin »), toute description un peu nostalgique et ironiquement rétro d'une Amérique dont il est dit qu'elle « n'est souvent qu'un lieu imaginaire ».

Tout ce qui crée l'enfermement, la pétrification et la fixité fascine Brautigan : c'est bientôt la littérature elle-même qu'il propose d'arracher aux classifications sclérosantes. Une série de romans mettra en cause les genres littéraires en opérant des rapprochements aussi indignes que producteurs : le « western gothique » du Monstre des Hawkline, le « roman japonais » de Retombée de sombrero, le pseudo-« roman noir » d'Un privé à Babylone. À cette époque, Brautigan affirmera vouloir « détruire la littérature ».

Son univers imaginaire est plus proche de l'esthétique orientale que de l'occidentale. Ce natif du Nord-Ouest américain trouvera dans le haïkaï et le « roman du je » la possibilité d'une expression centrée sur l'instant, la fugacité des choses et la simplicité des formes. De manière facétieuse dans Retombée de sombrero (1976), plus sérieuse dans Tokyo-Montana Express (1981), plus émouvante et dépouillée dans Mémoires sauvés du vent (1982), son dernier ouvrage publié, cette esthétique est sans doute celle vers laquelle, à en croire les inédits, il orientait un nouveau pan de sa production.

— Marc CHÉNETIER

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, professeur de littérature américaine à l'université d'Orléans

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Autres références

  • BRAUTIGAN (mise en scène B. Boeglin)

    • Écrit par
    • 896 mots

    De Bruno Boeglin, qu'il avait invité en 1979 au Centre dramatique national des Alpes, Georges Lavaudant disait alors : « Il est l'un des rares poètes de la scène. » La phrase a conservé sa pertinence. Hors du temps, hors des modes, Bruno Boeglin est l'homme d'un théâtre qui ne ressemble qu'à...