Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

DEDEKIND RICHARD (1831-1916)

Les nombres irrationnels

Le renom de Dedekind a dépassé le cercle restreint des algébristes professionnels et s'est étendu jusqu'à l'enseignement secondaire, grâce à ses travaux sur les fondements des mathématiques, où il a été un des pionniers ; il a publié ces travaux dans deux ouvrages célèbres : Stetigkeit und irrationale Zahlen (1872), et Was sind und was sollen die Zahlen (1888). Le premier se donne pour but de définir de façon purement arithmétique la notion de nombre irrationnel à partir de celle de nombre rationnel supposée connue (donc sans faire appel à l'intuition géométrique du « continu ») : Dedekind y reprend l'idée d'Eudoxe, qui associait à un « rapport » irrationnel A/B de deux grandeurs un partage en deux classes de nombres rationnels m/n, ceux qui sont tels que mB > nA et ceux qui sont tels que mB < nA ; il y ajoute l'idée de définir un nombre irrationnel comme un tel partage ou « coupure » (alors qu'apparemment Eudoxe admettait l'existence des rapports irrationnels et se bornait à décrire comment on calculait sur ces êtres). Visiblement inspiré par ses travaux sur les idéaux, Dedekind parvient à cette définition en remarquant qu'ici encore les propriétés caractéristiques d'une « coupure » peuvent se décrire sans faire appel à l'existence d'un nombre irrationnel qui l'aurait définie, en termes purement intrinsèques et sans sortir de l'ensemble des nombres rationnels ; cela fait, il reste à définir le calcul sur ces entités, en suivant le modèle d'Eudoxe ; on a donc encore ici un calcul sur des ensembles.

Comme on sait que les nombres rationnels peuvent se définir à partir des entiers naturels, la définition purement arithmétique des nombres réels (qu'avaient obtenue aussi par d'autres procédés Weierstrass, Méray et Cantor indépendamment de Dedekind) mettait donc les entiers naturels à la base de toute l'analyse classique. Dans Was sind und was sollen die Zahlen, dont la conception remonte aussi aux années 1872-1878, Dedekind montre qu'on peut rattacher les bases de l'arithmétique elle-même à la théorie des ensembles (que Cantor développait dans une autre direction à la même époque). L'idée très originale de Dedekind consiste à définir, non pas les entiers naturels, mais les ensembles finis : on prend pour définition d'un tel ensemble E une propriété de caractère négatif, savoir que E ne peut pas être mis en correspondance biunivoque avec une de ses parties distinctes de lui-même. Il est remarquable que, de cette définition, Dedekind, par des raisonnements de pure théorie des ensembles (entièrement nouveaux à cette époque, et qui devaient fortement influencer les recherches postérieures), parvienne à tirer les propriétés caractéristiques des entiers naturels (connus sous le nom d'« axiomes de Peano », bien que ce dernier ne les ait publiés que quelques années plus tard) ; il en déduit, d'une façon devenue classique, les définitions et propriétés usuelles des opérations de l'arithmétique.

— Jean DIEUDONNÉ

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Autres références

  • ALGÈBRE

    • Écrit par
    • 7 143 mots
    ...définissent avec précision l'appartenance d'une quantité à un tel corps, ils ne considèrent pas explicitement l'ensemble ainsi constitué. Il faut attendre Dedekind (qui introduit le mot corps) pour une étude systématique de certains corps d'un type assez général, les corps de nombres algébriques ; ce sont...
  • ANALYSE MATHÉMATIQUE

    • Écrit par
    • 8 528 mots
    ...dont les « monstres » auraient été les manifestations. Ce doute fut levé par les travaux à peu près simultanés de Weierstrass, de Méray, de Cantor et de Dedekind, qui, par divers procédés, définirent les nombres réels à partir des nombres rationnels, au moyen de l'opération que nous appelons maintenant...
  • AXIOMATIQUE

    • Écrit par
    • 2 036 mots
    On doit à G.  Peano (1858-1932) et à R. Dedekind (1831-1916) un exposé axiomatique de la théorie des nombres entiers ; désirant caractériser axiomatiquement l'ensemble N* des nombres entiers strictement positifs, Peano prend comme concept primitif la fonction S qui, à tout entier, associe...
  • CANTOR GEORG (1845-1918)

    • Écrit par
    • 2 886 mots
    • 1 média
    ...correspondant exact du continu géométrique linéaire. À cette date, Cantor n’a pas encore adopté la dénomination « nombre réel » introduite la même année par Dedekind dans l’opuscule Continuité et nombres irrationnels, où les réels sont définis par des « coupures » dans l’ensemble des rationnels – une coupure...
  • Afficher les 11 références