NEUTRA RICHARD (1892-1970)
L'espace architectural
L'espace de Neutra est fait de matières diverses, verre, pierre, bois, acier, brique, eau, sable, l'architecte ne cherchant pas l'unité d'expression de l'objet artistique par le matériau comme Mies avec l'acier ou Le Corbusier avec le béton. L'objet architectural est démantelé en une suite de lieux qui relèvent plus d'une géométrie de l'espace vécu dont l'individu est le pôle, que d'une géométrie de l'architecte. L'unité du tout fait place à une succession d'ambiances psychosomatiques. Aucun lieu n'est véritablement fermé par des volumes lisibles, chaque endroit de l'architecture est plutôt intersection de lieux : le plancher et le plafond d'un point de l'espace sont rarement projection verticale l'un de l'autre et relèvent d'espaces différents. Les murs relèvent également de divers ensembles, de sorte que de multiples lectures de l'espace sont possibles au gré des tendances psychosomatiques de chacun à se projeter suivant son humeur vers tel ou tel lieu, dans telle ou telle matière, à travers une transparence générale de l'architecture. Interpénétration de plans réels ou virtuels (portiques, surfaces vitrées, emploi de l'eau, etc.), interpénétration d'intérieurs et d'extérieurs, l'architecture de Neutra est milieu.
Pour la réalisation de ce milieu, l'emploi des techniques industrielles est poussé au plus haut point. La maison Lovell à laquelle l'architecte a donné le surnom significatif de Health House fut, en 1927, construite en quatre jours grâce à l'étude détaillée et minutieuse de la structure métallique et elle a établi la renommée de Neutra. Ainsi, usant des avantages de la fabrication industrielle, Neutra ne l'a pas déifiée comme l'a fait Mies en des temples d'acier et de verre.
Supprimant, suivant Loos, l'ornement, il ne lui a pas non plus substitué un nouveau décor comme le béton brut de décoffrage de Le Corbusier ou des architectes « brutalistes ». Il a plutôt, comme Alvar Aalto, recours à la variété des matériaux tous indispensables à des moments divers à l'équilibre de l'individu. On trouverait également réunis chez Neutra la conception du plan libre de Le Corbusier, la transparence de l'espace de Mies, le plan en croix de Wright et la continuité entre l'extérieur et l'intérieur, l'intégration au site propre à Wright ou à Aalto, ou la composition par plans du mouvement De Stijl. Loin de considérer un tel rassemblement comme une compilation littéraire ou un éclectisme artistique, on doit y voir plutôt les prémices d'une démarche scientifique, englobant dans une théorie unitaire diverses acquisitions tant fonctionnalistes qu'organiques de l'architecture moderne. En cela la démarche de Neutra est éminemment nouvelle : elle se voudrait réponse scientifique au problème de l'environnement. Faite pour entourer l'individu, une telle architecture est, plus sans doute que celles de certains autres « grands architectes », vivable.
En contrepartie, une fois dépassée l'échelle de l'individu à laquelle le matériau est perceptible et le déplacement sensible, lorsque l'architecture cesse d'être contenant, milieu, pour être objet vu à distance, l'aspect du matériau ou la transparence des lieux cessent d'être un langage possible. Alors l'architecture de Neutra devient le jeu abstrait d'un graphisme un peu trop simple de blancs, de gris et de noirs qui caractérise ses buildings plus importants ; des volumes fermés et formels se substituent à la transparence des plans. Objet et obstacle, cette architecture perd l'intérêt majeur qu'elle revêtait à l'échelle humaine, celui d'être un milieu.
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Écrit par
- Philippe BOUDON : D.P.L.G. en architecture, docteur d'État
Classification
Autres références
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ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - L'architecture
- Écrit par Claude MASSU
- 12 026 mots
- 9 médias
...international : exil des architectes face aux totalitarismes et à la guerre, cassure idéologique et économique des années 1940, essor au cours de l'après-guerre. En attendant, l'esthétique du style international avait été brillamment illustrée par Richard Neutra (1892-1970) avec la maison Lovell à Los Angeles...