RORTY RICHARD (1931-2007)
Le pragmatisme a joué un rôle majeur dans la philosophie américaine pendant une large partie du xxe siècle. Dans la période contemporaine, amplement dominée par la philosophie analytique dans le contexte nord-américain, Richard Rorty aura été, jusqu'à sa disparition en 2007, l'un des représentants les plus significatifs du courant pragmatiste, l'un de ceux qui se seront engagés avec le plus de force dans la réhabilitation des idées et du style de pensée issus de C. S. Peirce, William James et John Dewey.
De la philosophie analytique au pragmatisme
Richard Rorty est né à New York en 1931. Professeur au sein du département de littérature comparée à Stanford University durant les dernières années de sa carrière universitaire, Richard Rorty a étudié à l'université de Chicago et à Yale. Il a ensuite enseigné la philosophie à Princeton, l'un des pôles majeurs de la philosophie analytique, avant de rejoindre le département des humanités à l'université de Virginie à Charlottesville, puis le département de littérature comparée à Stanford.
Comme nombre de philosophes américains de sa génération, Richard Rorty s'est initialement illustré par des travaux appartenant au courant « analytique », c'est-à-dire au style de philosophie qui vit le jour après la Seconde Guerre mondiale autour de Rudolf Carnap et Carl Hempel qui, après avoir fondé le Cercle de Vienne à la fin des années 1920 et jeté les bases de l'empirisme logique, émigrèrent aux États-Unis à la fin des années 1930, pour des raisons qui touchent en partie à un contexte philosophique qui semblait favorable à leurs idées. Ses premiers travaux ont valu à Richard Rorty une notoriété qui s'inscrit clairement dans la ligne de cet héritage. Marquée par des options dont il ne tarda toutefois pas à se séparer pour se tourner plus radicalement vers le pragmatisme, cet épisode de sa vie et de sa pensée se caractérise par un intérêt pour le langage dont The Linguistic Turn (1967) fournit une excellente illustration, et qui ne se démentira pas dans la mesure où les problèmes philosophiques, autant que ceux qui touchent à ce que Wittgenstein appelait une « forme de vie », resteront pour lui subordonnés aux ressources de notre langage ou de ce qu'il nommait notre « vocabulaire ».
C'est dans la période qui a suivi, comme il s'en est expliqué plus tard dans un essai autobiographique (Trotsky et les orchidées sauvages, 1992), que Richard Rorty s'est engagé dans une critique de la philosophie dont il avait été jusque-là un éminent représentant ; c'est également à la même époque qu'il quitte Princeton pour le département des humanités de l'université de Virginie, où il enseignera jusqu'en 1998. Dans le livre qui témoigne à la fois de ce divorce et de ses nouveaux engagements, Philosophy and the Mirror of Nature (1979, trad. L'Homme spéculaire, 1990), Rorty entreprend une critique des notions et présuppositions majeures autour desquelles la théorie de la connaissance a édifié son empire, jusqu'à devenir, selon lui, le noyau dur de la philosophie analytique, telle qu'elle s'est développée dans le sillage de l'empirisme. Dans ce livre, Rorty se recommande significativement de l'important réexamen conceptuel opéré par Quine, Sellars et plus récemment Davidson, au sein même du courant analytique, en s'attaquant notamment à la distinction de l'analytique et du synthétique, à la notion de donné et au dualisme du schème et du contenu.
Ce livre ne constitue cependant qu'un premier pas dans le cheminement qui devait conduire Richard Rorty non seulement à s'éloigner de la philosophie analytique orthodoxe, mais à clarifier ses positions et à renouer, de façon plus étroite, avec la tradition pragmatiste. Les textes et les livres qui ont suivi, des [...]
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Écrit par
- Jean-Pierre COMETTI : professeur honoraire des Universités
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