STRAUSS RICHARD (1864-1949)
Berlin (1898-1919)
S'ouvre alors la période la plus importante de la vie de Strauss, non seulement parce que c'est à Berlin qu'il occupe son plus long poste (Hofkapellmeister à l'Opéra), mais aussi parce qu'il compose à cette époque les ouvrages lyriques qui ont établi sa réputation. Après l'œuvre intermédiaire qu'est Feuersnot (1901), sur un livret du satiriste Ernst von Wolzogen, ce seront bientôt deux chefs-d'œuvre absolus, deux « opéras noirs », Salomé, en 1905, d'après la pièce d'Oscar Wilde, et Elektra, qui est la première œuvre écrite en collaboration avec le poète viennois Hugo von Hofmannsthal (1909). Dans ces deux partitions, une science inouïe de l'orchestre et une grande « demande » vocale conduisent à des ouvrages violents, ramassés en un acte unique, à la fois héritiers indéniables de la dramaturgie wagnérienne et puissamment originaux, qui mettent en scène un monde de passions troubles et proches de l'hystérie. Salomé, peut-être mieux maîtrisé qu'Elektra, s'est installé durablement au répertoire des maisons d'opéras.
Autour de 1910, un changement semble se produire, sans doute en grande partie sous l'influence néo-romantique d'Hofmannsthal. Celui-ci est l'auteur de deux livrets admirables, Le Chevalier à la rose (1911) et Ariane à Naxos (première version en 1912, seconde version en 1916). La première œuvre est une immense réussite des deux auteurs : l'intrigue croisée d'un petit monde aristocratique échappé du xviiie siècle de l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche parvient à toucher chacun, qui s'identifie aux personnages entraînés dans le tumulte des passions. Une musique somptueuse, héritière des Noces de Figaro et des Maîtres Chanteurs, se déploie pendant les trois actes de cette « comédie en musique » qui pourrait préfigurer quelque film du Bergman de la grande époque (Sourires d'une nuit d'été).
Quant à Ariane à Naxos, l'originalité indéniable de son dispositif dramatique ainsi qu'une musique dotée de tous les charmes (surtout dans le Prologue) laissent à peine percevoir les signes avant-coureurs d'une évolution néo-classique ultérieure.
Le succès de cette dernière œuvre a longtemps paru problématique : une première version, malhabile, devra être reprise ; l'ouvrage, né d'une hybridation avec Le Bourgeois gentilhomme de Molière, s'en séparera : seule la musique inspirée par l'écrivain français, que Strauss chérissait, demeurera sous la forme d'une Suite. En revanche, le succès du Chevalier à la rose est immédiat et total. Il suffit de signaler qu'en 1917, à Dresde, Strauss en dirige la centième représentation, ce qui est considérable, compte tenu des années de guerre. Les autres partitions, notamment symphoniques, que Strauss compose en ces années ne sont pas du niveau des meilleurs poèmes, comme si ces sortes « d'opéras instrumentaux » avaient véritablement dû « laisser la place » lorsque leur auteur réussit, enfin, à composer véritablement pour la scène. On citera la Sinfonia domestica, narration bourgeoise et musicale de la propre famille de Strauss, et la Symphonie des Alpes, partition parfaitement indigeste. Mais d'autres œuvres, beaucoup moins connues et enregistrées, mériteraient à coup sûr un meilleur accueil, notamment des chœurs et des « mélodrames » comme Enoch Arden (d'après Alfred Tennyson, 1897), Das Schloss am Meer (d'après Ludwig Uhland, 1898), formules originales et hautement dramatiques, dont Schönberg s'inspirera dans son Pierrot lunaire de 1912.
Enfin, dans le même temps se développe l'activité publique de Strauss chef d' orchestre ; il voyage constamment et, à Berlin même, hérite de l'orchestre rival de la Philharmonie, le Berliner Tonkünstlerverein. Il doit[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Dominique JAMEUX
: conseiller en musique du
xx e siècle, producteur à France-Musique
Classification
Médias
Autres références
-
ARIANE À NAXOS (R. Strauss)
- Écrit par Timothée PICARD
- 1 173 mots
Ariadneauf Naxos (Ariane à Naxos) de Richard Strauss, sur un livret de Hugo von Hofmannsthal, connut tout d’abord une première version en un acte, conçue pour remercier Max Reinhardt de sa mise en scène du Der Rosenkavalier (LeChevalier à la rose), et destinée à être jouée après Le...
-
ELEKTRA (R. Strauss)
- Écrit par Timothée PICARD
- 1 390 mots
- 1 média
Chef-d'œuvre de l'expressionnisme musical allemand, Elektra, de Richard Strauss (1864-1949) est créé le 25 janvier 1909 au Königliches Opernhaus de Dresde. Un fait est à noter, qui manifeste la portée de la collaboration qui va s'instaurer entre le musicien et le poète autrichien : la...
-
ELEKTRA (R. Strauss), en bref
- Écrit par Christian MERLIN
- 212 mots
Elektra, opéra en un acte de Richard Strauss d'après la tragédie de Hugo von Hofmannsthal, est créé au Königliches Opernhaus de Dresde le 25 janvier 1909. L'opéra, qui n'est pourtant pas avare de meurtres et de sentiments exacerbés, ne connaît aucun autre exemple d'illustration musicale...
-
BEHRENS HILDEGARD (1937-2009)
- Écrit par Alain PÂRIS
- 1 482 mots
Cette cantatrice allemande était considérée comme la plus grande soprano wagnérienne de sa génération. Contrairement aux chanteuses qui l'avaient précédée dans le même répertoire, elle était dotée d'un grand tempérament d'actrice. Sa voix, moins puissante que celle de ...
-
BÖHM KARL (1894-1981)
- Écrit par Alain PÂRIS
- 1 664 mots
- 2 médias
Karl Böhm fut l'ultime représentant des chefs d'orchestre autrichiens et allemands qui avaient connu les derniers compositeurs postromantiques ainsi que les créateurs des chefs-d'œuvre de Brahms et de Wagner. Avec lui a disparu une conception de l'interprétation transmise de maître à disciple,...
-
DELLA CASA LISA (1919-2012)
- Écrit par Pierre BRETON
- 684 mots
- 2 médias
Ni Mozart, ni Richard Strauss ne sont parvenus à les départager. Certes, dans l'esprit du plus grand nombre, les sortilèges jetés par la magicienne de la sophistication absolue, Elisabeth Schwarzkopf, ont paru l'emporter. Les vrais amateurs le savent bien pourtant : la pudique vestale du ...
-
Elektra, STRAUSS (Richard)
- Écrit par Christian MERLIN
- 806 mots
Lorsque Elektra est créée à Dresde, le 25 janvier 1909, Richard Strauss n'est pas encore un compositeur d'opéra confirmé. Il est alors plus connu pour ses poèmes symphoniques – Don Juan (1889), Till Eulenspiegel (1895), Ainsi parlait Zarathoustra (1896)... – et entame la deuxième... - Afficher les 19 références