TIRAVANIJA RIRKRIT (1961- )
Thaïlandais né en 1961 à Buenos Aires, Rirkrit Tiravanija incarne parfaitement la globalisation apparue dans les années 1990. L'artiste a été fortement influencé par le nomadisme et le besoin de reformer des micro-communautés face à un monde en croissance exponentielle. Dès la première apparition de son travail à New York en 1989, la critique fut déstabilisée. Tiravanija insufflait du quotidien, des actions simples et a priori sans valeur dans l'espace des galeries. Déchets ou restes de repas trouvaient grâce à ses yeux au sortir d'une décennie artistique marquée par un retour aux supports traditionnels et un certain désintérêt pour le dialogue entre l'art et la vie. En 1990, Tiravanija réalise Sans titre (Pad Thaï) et organise tous les deux ou trois jours un repas thaïlandais qu'il offre gracieusement aux visiteurs. Les jours « vacants », les ustensiles de cuisine sont exposés. On a beaucoup glosé sur cette façon d'exposer ce qui est « hors d'usage », souvent interprétée comme une mise en scène du désir déçu du spectateur de ne pas avoir participé au vernissage. Ce qui est un non-sens puisque l'artiste, lors de ses premières expositions, s'engageait à être présent régulièrement et à nourrir ses visiteurs. « L'important n'est pas ce qu'on voit, c'est ce qui se joue entre les êtres. » Rapidement, Tiravanija se voit proclamé héritier de Daniel Spoerri et de Gordon Matta-Clark. Ce dernier constitue une référence avancée par le jeune artiste lui-même.
Dans la lignée de cette première exposition, Tiravanija ouvre un studio de répétition[Sans titre (Rehearsal Studio no 6), 1996] qui voyagera du Whitney Museum de New York au Consortium de Dijon. Lieu de convivialité implanté dans l'espace d'exposition habituellement sacralisé, cette œuvre était réellement destinée à être utilisée par des groupes musicaux. Le reste du temps, la structure demeurait inerte, comme en attente d'une activation populaire et spontanée. En 1996, pour Untitled (tomorrow is another day), Tiravanija transforme la galerie de Gavin Brown à New York en appartement privé ouvert 24 heures sur 24. Un véritable casse-tête pour le marchand dont l'espace se voyait livré à une socialisation incongrue. « Les installations que je présente ne sont ce qu'elles sont qu'en tant qu'elles sont traversées par les gens. Bien sûr, il est toujours possible de les acquérir mais cela ne signifie absolument plus rien si l'on en a plus l'usage », précise l'artiste. Dans les institutions, l'exposition de sa pratique pose des difficultés multiples en termes de conservation de ces restes de performance (laisser les aliments moisir) et vis-à-vis des œuvres d'autres artistes (cuisiner avec une flamme dans un espace muséal, manipuler des aliments véhicules de bactéries). Ce travail devient, à travers les écrits du critique d'art Nicolas Bourriaud, le symbole de l'Esthétique relationnelle (1998). En réponse à la désincarnation d'un monde contemporain ultra-numérisé, Tiravanija propose une alternative humaine, installe des espaces de vie dans les temples de l'art, imagine une alternative au marché à travers une réflexion poussée sur la valeur du processus. Depuis 1998, il s'investit sur un territoire thaïlandais autour de la ville de Chiang Mai. C'est là qu'il a installé une communauté d'artistes, The Land Foundation, qui compte les Français Pierre Huyghe et Philippe Parreno. Dans ce projet, entre utopie communautaire et réhabilitation écologique, art, architecture et agriculture s'entrecroisent pour former des projets hétéroclites, poursuivant la réflexion toujours vivace sur la fusion entre l'art et la vie.
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Écrit par
- Bénédicte RAMADE : critique d'art, historienne de l'art spécialisée en art écologique américain
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INSTALLATION, art
- Écrit par Bénédicte RAMADE
- 3 512 mots
- 1 média
...l'émergence d'une communauté « spontanée », éphémère et transitoire au sein de l'institution artistique d'accueil de l'œuvre. Ainsi, l'artiste thaïlandais Rirkrit Tiravanija s'est-il employé à composer des espaces de vie à l'intérieur des musées et des expositions où il était invité. En réponse à la désincarnation...