RITES DE PASSAGE
L'expression « rites de passage » remonte à l'ouvrage d' Arnold Van Gennep qui, paru en 1909, porte ce titre. Dans le domaine de l'anthropologie, elle a connu, jusqu'à nos jours, une fortune remarquable – et exceptionnelle pour une discipline qui s'est profondément renouvelée depuis le début du xxe siècle. Ce succès se traduit aussi bien par la fréquence d'utilisation de l'expression, qui sert à expliquer de nombreux faits sociaux, que par l'abondante littérature spécialisée qu'elle a suscitée, surtout dans les pays anglo-saxons, et qui porte davantage sur le problème de sa validité.
Ce concept doit son extension au fait qu'il permettait d'unifier et d'expliquer des phénomènes jusque-là considérés comme hétérogènes ou insignifiants : par la manière dont il l'a élaboré, A. Van Gennep a permis de rassembler des rituels ressortissant à des époques (de l'Antiquité à la période contemporaine), à des aires géographiques et à des formations sociales (sociétés « primitives », sociétés rurales européennes, sociétés historiques) tout à fait différentes les unes des autres ; de même, il a pu, par ce moyen, rapprocher des rituels apparemment sans relation, tels ceux qui entourent la naissance, la puberté, le mariage, les cycles saisonniers ou l'intronisation d'un souverain, quelles que soient l'époque et l'organisation sociale où se situent ces rituels.
Le schéma tripartite des rites de passage
Dans la diversité des faits qui l'intéressaient, Van Gennep a repéré l'existence d'une structure tripartite et de fonctions communes. Il a montré, en effet, que tous s'organisent selon une séquence constante en trois temps, qui distingue à l'intérieur d'un même rituel : une phase de séparation vis-à-vis du groupe ; une phase de mise en marge (ou « liminale ») ; une phase de réintégration ( ou « agrégation ») au sein du groupe, dans une nouvelle situation sociale. L'importance respective de chacun de ces trois moments varie, certes, selon les contenus rituels (les rites de séparation sont, à première vue, plus développés lors des funérailles ; à l'inverse, les rites d'agrégation le sont davantage lors du mariage), mais, sous la multiplicité des formes, se dessine le même schéma, au moins de manière tendancielle. Van Gennep a cependant insisté sur le fait que tous les rituels ne présentaient pas cette structure ; y échappent notamment les rituels de fécondité ou de propitiation. En ce qui concerne les fonctions, il a montré que de tels rituels concouraient tous à marquer une transition d'un état social à un autre, transition qui ressemble à un passage physique (tel que le fait d'entrer dans un village ou de franchir le seuil d'une demeure) et qui instaure un temps et un espace de coupure destinés à souligner la différence entre l'état antérieur et l'état postérieur. Cette coupure prend la forme d'une période de marge ou de « liminalité » selon l'expression de l'anthropologue V. Turner, au cours de laquelle les impétrants du rituel sont en situation marginale par rapport aux règles et obligations sociales « normales ». Ces changements d'état, individuels ou collectifs, cosmiques ou sociaux, sont essentiellement ambigus. Ils marquent l'irruption d'un désordre virtuel dans le continuum réglé des existences et des cycles et ils forment dans la vie sociale des « interstices » dont il convient d'atténuer les effets nuisibles par l'appareil rituel. C'est pourquoi la phase liminale, qui est à la fois redoublement et conjuration du danger immanent au changement, constitue l'axe central des rites de passage. C'est pourquoi aussi la notion d'impureté est souvent employée pour qualifier l'état des individus ainsi mis en marge.[...]
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Écrit par
- Nicole SINDZINGRE : chargée de recherche au CNRS
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