RITES DE PASSAGE
L'état actuel du problème
Le schéma mis en place par Van Gennep couvre un ensemble très étendu de rituels. Par ailleurs, le raffinement du modèle introduit par V. Turner, avec les concepts de liminalité et de communitas, aboutit à associer à la catégorie des rituels de passage les rites initiatiques, des rôles tels que ceux du « fou du roi », les institutions conventuelles, les mouvements chrétiens de retour à la pauvreté, etc., étant donné qu'on y retrouve les éléments de l'« hors-structure » qui définissent ces deux concepts. Mais une telle extension – géographique, temporelle et sémantique – de la notion de rite de passage appelle une série de critiques. L'usage qu'on fait de cette notion pour expliquer de si nombreux faits sociaux se fonde sur des critères purement formels, sur la présence ou non de traits structuraux. Ce formalisme a été fécond, car il a rapproché des phénomènes qui autrement eussent été difficiles à comprendre ; il a permis aussi de dépasser la dichotomie entre sociétés « primitives » et sociétés historiques européennes, en relevant ici et là la présence de rituels analogues. Mais, avec une telle extension, le concept aboutit à perdre toute valeur explicative et à niveler des différences fondamentales entre les dispositifs rituels et entre les systèmes sociaux. Ceux-ci ne sont pas assimilables les uns aux autres à travers la diversité des cultures et des époques : une naissance individuelle ne comporte pas les mêmes enjeux qu'un rituel agraire ou royal. Il est vrai que ces rituels relevés sur la surface du globe semblaient indépendants des systèmes d'organisation sociale ou de parenté. Un problème épistémologique était posé, à ce niveau, que le modèle des rites de passage paraissait le plus apte à résoudre.
Ce formalisme, toutefois, évacue en particulier les problèmes de subordination et de stratification sociale. Des critiques, notamment celles de J. La Fontaine, ont montré que, même d'un point de vue formel, les trois phases décrites par Van Gennep étaient asymétriques et que le statut final est toujours socialement supérieur au statut initial. Les statuts acquis sont immédiatement structurés hiérarchiquement ; tel individu n'accède pas, par un rite de passage, à n'importe quelle place sociale, mais à celle que d'autres variables (parenté, naissance) lui auront allouée bien auparavant dans l'organisation sociale (un fils de roi par exemple restera, après un rituel pubertaire, un héritier potentiel). De fait, la phase liminale n'est pas véritablement un lieu flou, homogène et marginal, mais elle inscrit déjà virtuellement chacun dans une position sociale. Finalement, c'est la notion même de marge, de l'existence d'interstices possibles dans la structure, qui fait problème. La situation liminale semble bien participer pleinement des systèmes « normaux » de hiérarchie sociale. De telles constatations devraient conduire à des analyses moins simplifiées des fonctions manifestes des rites de passage.
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Écrit par
- Nicole SINDZINGRE : chargée de recherche au CNRS
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