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RITES

L'impureté

Les phénomènes de la vie naturelle et sociale qui ne sont pas conformes à des règles et à des modèles constants ont pour le « primitif » quelque chose de déroutant et d'inquiétant. Ce sont des menaces à la sécurité dans laquelle il aimerait pouvoir s'enfermer ; et, en même temps, ce sont des symboles de ce qui est plus puissant que la règle. Il s'agit donc bien, pour lui, des manifestations directes du numineux qui, sous cette forme immédiatement perceptible, est alors considéré comme une impureté. Deux attitudes rituelles contradictoires sont alors possibles : ou bien on se préserve du numineux et on s'en écarte, pour maintenir la cohésion d'une condition humaine bien réglée ; ou bien on renonce à la quiétude de cette situation bien déterminée pour utiliser et manier la puissance numineuse. Dans le premier cas, on a affaire aux rites qui séparent l'homme de l'impureté ; dans le second, aux rites magiques ; et c'est le même principe, vu sous l'un ou l'autre de ses aspects antithétiques, qui commande les deux types de rites.

Le numineux impur apparaît dans tout ce qui est insolite, anormal, extraordinaire, contraire aux règles naturelles et sociales. Et tout ce qui relève de cette catégorie est frappé d'interdictions qu'on nomme les « tabous ». Le tabou n'est pas motivé comme le sont les prohibitions morales ou hygiéniques ; mais, si on ne le respecte pas, on s'expose à être mis hors de l'ordre commun, à être cause de toutes sortes de malheurs, à être tenu éventuellement pour un sorcier, à être soi-même impur. Ce qui est frappé de tabou, c'est donc d'abord tout ce qui n'est pas habituel, comme les monstres, les jumeaux, les phénomènes rares, les nouveautés, les innovations. Ce sont aussi les gens qui violent les règles, par exemple en commettant l'inceste, l'adultère ou le meurtre. Mais ce sont encore ceux qui sortent de l'ordre commun, tels les chefs, ou les guerriers revenant d'une expédition. On ne doit pas les toucher. Certaines phases de l'existence paraissent aussi mettre en contact avec le monde du numineux. C'est pourquoi des tabous pèsent sur la femme qui est en couches ou qui est souillée par le sang menstruel. La mort, qui met l'homme en contact avec ce qui menace le plus sa sécurité, est évidemment source d'impureté. Les cadavres, les parents du défunt sont réputés dangereux et sont objets de tabous.

Le passage d'une période de l'existence à une autre, d'un cadre social à un autre place l'individu dans un état difficile, où il est en somme entre deux systèmes de règles. Il en résulte la nécessité de ce qu'on nomme les « rites de passage », lesquels ont pour but à la fois de mimer ces changements pour les maîtriser sur le plan rituel et de préserver le groupe de l'impureté qui s'en dégage. Les rites de la naissance, du mariage, des funérailles, de l'adoption, de l'inauguration appartiennent à cette catégorie.

Dans certains cas, la situation d'ensemble se présente comme tellement numineuse que les tabous sont généralisés. Ainsi, en Polynésie, à la mort d'un chef, on déclarait une période taboue, pendant laquelle toute activité était interdite. Lorsque, malgré toutes ces précautions, l'homme ou la collectivité ont subi l'atteinte du numineux, il faut se débarrasser de cette souillure, et l'on a recours aux rites de purification. Si c'est possible, on élimine l'objet ou l'individu tabou. Dans d'autres cas, on utilise des symboles pour chasser l'impureté, par exemple au moyen d'un lavage avec de l'eau ou par des fumigations. La confession des péchés, chez les primitifs, est un rite cathartique. En énonçant les fautes, on expulse la « souillure » qui leur était attachée. Mais toutes les causes d'impureté ne sont pas décelables et l'on peut[...]

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  • : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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