RIVAROL (1753-1801)
Rivarol appartient à la période transitoire située entre l'époque des Lumières et le romantisme, et qui se caractérise par une certaine vacance du génie créateur. Nullement artiste, inapte à la poésie, au roman, au théâtre, il est de la race des critiques, essayistes ou pamphlétaires ; causeur étincelant, « parolier » en littérature, il s'est distingué par la promptitude de ses reparties, la pertinence de ses formules, la justesse foudroyante de ses épigrammes. Au contraire d'André Chénier, qui voulait « sur des pensers nouveaux » écrire « des vers antiques », Rivarol était classique par la pensée et moderne par le style. On s'interroge sur l'envergure du personnage : cet écrivain, si éminemment doué sur le plan intellectuel, aurait-il gaspillé ses dons ?
Un témoin ironique
De Bagnols où il naquit, Rivarol monte à Paris et se produit dans le monde des lettres au moment où disparaissent les géants de la génération précédente : une lourde succession est à prendre. Mais ce Méridional irrévérencieux préfère les notations brèves et incisives aux synthèses plantureuses, dont la plus voyante est alors Le Monde primitif et moderne (1773-1774) d'Antoine Court de Gébelin. Il entame une carrière de publiciste. Fait pour le reportage, « spectateur et scrutateur de la nature », témoin ironique des bévues d'autrui, pourfendeur des vanités humaines, il a joué toute sa vie un rôle qui n'allait pas sans une bonne part de persiflage. Nul esprit plus que le sien n'a vécu sous la dépendance de l'événement : l'illusion d'avoir atteint en tout domaine le « point de perfection », utopie commune dans la France de 1780, bientôt suivie d'un dégrisement fatal accentué par le cataclysme révolutionnaire et aboutissant au sentiment d'une fin dernière des valeurs, telle est à peu près la courbe de ses opinions.
L'Académie de Berlin donne au publiciste en mal de copie l'occasion de se faire un nom, et Rivarol écrit en 1784 son fameux Discours sur l'universalité de la langue française, dans lequel il démontre à ses compatriotes médusés que leur idiome est la meilleure réalisation possible de cette langue universelle dont rêvait Leibniz et que tous les alchimistes du verbe s'évertuaient à reconstituer laborieusement. Après ce beau tour de passe-passe, il réduit au même dénominateur – à savoir la petitesse – les célébrités de son temps en les épinglant tour à tour dans le Petit Almanach des grands hommes (1788), qui est un chef-d'œuvre de drôlerie. À l'occasion sa pensée s'élève, par exemple pour répondre à Necker sur l'importance des opinions religieuses. La Révolution le voit à la hauteur des circonstances, toujours sur la brèche et immédiatement convaincu que la France fait fausse route en bouleversant l'ordre établi. Rivarol émigre à propos en 1792. Dans l'exil il travaille à un Nouveau Dictionnaire de la langue française ; il a aussi sur le chantier une Histoire de la Révolution et un grand Traité sur la nature du corps politique destinés à former un ensemble. Mais l'essentiel de son génie s'évapore en conversations éblouissantes. La mort l'abat à quarante-huit ans à Berlin. Littérateur exclusif, il n'a cessé de mettre sa plume au service de l'éphémère : victime de sa paresse et de son bavardage, il a dissipé en volutes de paroles « la valeur de plus d'un volume, et d'un volume qui n'existe pas », selon sa propre expression.
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Écrit par
- Édouard GUITTON : professeur de littérature française à l'université de Rennes-II-Haute-Bretagne
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