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RIVAROL (1753-1801)

À contre-courant

Les éditeurs de Rivarol ont morcelé à loisir les éléments embryonnaires de son œuvre en disjoignant la littérature de la politique ou de la philosophie. C'est une erreur, un véritable contresens historique, car l'époque où s'est formé son esprit aspirait à un syncrétisme généralisé : elle cherchait à cerner l'objet de son analyse sous tous ses aspects à la fois, agissant comme un prisme avec la lumière. L'âge encyclopédique avait préparé le terrain en se livrant à une nomenclature descriptive de vaste envergure : il restait à rapprocher ces fragments disparates afin de bâtir sur des fondements nouveaux la citadelle de la connaissance.

La pensée de Rivarol obéit à un fixisme fondamental qui lui fait considérer, en quelque domaine que ce soit, que l'état présent des choses est par principe le meilleur. À la limite il arrêterait le temps, sur lequel il a écrit ce mot troublant : « La plus grande illusion de l'homme est de croire que le temps passe. Le temps est le rivage ; nous passons, il a l'air de marcher. » On comprend qu'il ait mis une telle obstination à ramer à contre-courant de l'histoire. Formé à l'école des Lumières, il ne remet pas en cause les conquêtes du sensualisme, mais les fixe, ou les fige, dans leur état définitif en les ramenant à des vérités premières conformes à la vérité de la nature, laquelle est infaillible par principe. Pascal et Montesquieu sont ses premiers inspirateurs. Il se produit dans son esprit un amalgame harmonieux entre les penseurs de tous les temps, ceux de l'Antiquité, ceux des siècles de Louis XIV et de Louis XV, à la seule condition qu'ils n'aient pas déraisonné.

Le Discours sur l'universalité de la langue française offre au lecteur un condensé brillant des acquisitions intellectuelles du xviiie siècle : la géographie, la diplomatie, l'étude des mœurs et des usages y ont part égale avec la philologie. Un cosmopolitisme culturel préside à la démonstration ; l'orateur consacre un état de fait : la suprématie incontestée du français dans les échanges internationaux, la perfection logique et insurpassable de la prose française. L'erreur serait de prendre ce joyau adolescent pour ce qu'il ne pouvait être : une synthèse, l'aboutissement d'une longue recherche. La même clairvoyance, la même raison dominante président à l'argumentation de Rivarol quand il réplique à Necker : traitant de la religion sans le moindre esprit de religion, l'auteur des Lettres à M. Necker (1788) se fait le défenseur des cultes avec l'unique souci de préserver un état acquis nécessaire à l'équilibre des nations.

Rivarol appartient à une époque qui a incorporé de manière irréversible la politique à l'art de penser. Il condamne d'emblée la Révolution, dont il ne voit que les inconvénients, parce qu'elle contredit l'ordre naturel des choses. Mais sa réflexion sur l'homme ne se sépare pas d'une réflexion sur la collectivité sociale et sur les rapports des hommes entre eux. À ses yeux, toute entreprise révolutionnaire est une duperie, et le salut du pays réside dans la stabilité, qui n'exclut pas le progrès. Il n'a pas son pareil pour dénoncer les supercheries idéologiques où qu'elles prétendent mener, et les erreurs de gestion d'où qu'elles viennent. Son sens pratique lui fait adopter des positions inébranlables et méconnaître la marge d'illusion ou d'enthousiasme nécessaire à toute entreprise humaine : le principal reproche que l'on peut adresser à ce « démystificateur » est de n'avoir si bien commenté les événements de l'histoire que parce qu'il n'avait aucun rôle à y jouer.

Le monument auquel Rivarol songeait avant de mourir ne partait d'une étude des mots[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature française à l'université de Rennes-II-Haute-Bretagne

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