ALDRICH ROBERT (1918-1983)
Un individualisme farouche
Réalisateur « à formules », à la fois brouillon et systématique, Robert Aldrich a exploité très tôt le schéma du « film de couple » et s'est plu fréquemment à opposer des figures très contrastées : Burt Lancaster et Gary Cooper dans Vera Cruz, Jack Palance et Rod Steiger dans Le Grand Couteau, Kirk Douglas et Rock Hudson dans The Last Sunset (El Perdido), Burt Reynolds et Eddie Albert dans Plein la gueule, etc. Ce procédé valut un énorme succès à Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?, où le duel Bette Davis-Joan Crawford inaugurait un autre sous-genre, teinté de misogynie grinçante, d'humour noir et de kitsch agressif. À compter de ce film, la carrière d'Aldrich va faire alterner la formule du « film de couple » (Bette Davis-Olivia de Havilland dans Hush... Hush, Sweet Charlotte / Chut... chut, chère Charlotte, Susannah York-Beryl Reid dans Faut-il tuer Sister George ?, Lee Marvin-Ernest Borgnine dans Emperor of the North Pole / L'Empereur du Nord) et celle du film-commando (Too Late the Hero / Trop tard pour les héros, Ulzana's Raid / Fureur apache, Twilight's Last Gleaming / L'Ultimatum des trois mercenaires, The Choirboys / Bande de flics).
Après le triomphe de Douze Salopards, le réalisateur, qui, depuis ses débuts, s'était entouré d'une équipe quasi permanente de collaborateurs (Ernest Laszlo puis Joseph Biroc à la photo, Michael Luciano au montage, Frank De Vol pour la musique), acquiert son propre studio. Pendant cinq ans, l'essentiel de ses efforts sera consacré à préserver ce lieu, garant théorique de son indépendance artistique. Mais, à mesure que le temps passe et que les difficultés financières s'accumulent, Aldrich s'éloigne de ses racines idéologiques. Ses premiers films se nourrissaient d'un conflit fécond entre cynisme et réformisme, ambition et désir de popularité ; ses derniers flottent dans un no man's land moral et procèdent de la pure répétition ou de la caricature. Ils souffrent d'une évidente déperdition d'énergie (qu'accentue paradoxalement le tournage systématique à deux caméras). Ils ne sont plus peuplés que de perdants ou de monstres et cèdent uniformément à la tentation de l'auto-apitoiement, de l'autocitation et de la farce grossière. Ils restent, cependant, émouvants à certains égards : rarement cinéaste aura exposé de manière plus crue son individualité, son désir de travailler à la fois dans et contre le « système ». Ils sont autant de témoignages paradoxaux sur le destin d'une génération d'auteurs qui, après avoir conquis l'indépendance à Hollywood, s'aperçut un beau jour qu'elle n'avait plus rien à nous dire que ses désillusions.
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Écrit par
- Olivier EYQUEM : traducteur
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Média
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