ALTMAN ROBERT (1925-2006)
Retour à l'écriture chorale
On croit alors Robert Altman marginalisé par Hollywood. Mais il revient en force en 1992, avec The Player, un film sur Hollywood, justement, qui remporte un grand succès. À travers le conflit entre un scénariste, bientôt entraîné dans une affaire de meurtre, et son producteur, Altman règle ses comptes joyeusement. The Player, même si le scénario, d'une prodigieuse habileté, s'avère plus passionnant que la mise en scène, est à l'industrie américaine du film ce que M.A.S.H. était à l'U.S. Army. Le succès du film permet à Altman de revenir à un nouveau grand sujet « choral ». Short Cuts (Short Cuts, les Américains), d'après neuf nouvelles et un poème de l'écrivain Raymond Carver, met en scène une vingtaine de personnages dont le seul lien est le plus souvent d'habiter Los Angeles, et qui vont, à un moment ou à un autre, se croiser. Ces rapprochements, liés à des rapports familiaux, sexuels, sociaux, professionnels ou au pur hasard, pourront avoir des conséquences sur les trajectoires de chacun (parfois réduites à de brèves stations). Ces télescopages de personnages, de situations ou simplement de séquences sont composés avec un art consommé qui porte de bout en bout un film presque dépourvu d'intrigue, où les ellipses ont autant d'importance que ce qui est montré. Ils dessinent, d'un trait ironique et désespéré, le portrait d'une Amérique et d'un monde fin de siècle, tissés d'égoïsme et d'indifférence, mais où chacun, jusqu'à celui qui nous paraît le plus grossier, a son instant d'humanité.
À côté de cette remarquable polyphonie grinçante, Ready to Wear (Prêt-à-porter), qui tourne en dérision l'imposture du monde de la mode, des couturiers et des mannequins, tout en exaltant la fascination qu'il produit, confirme le talent retrouvé d'Altman sans renouveler sa veine chorale. Plus étrangement personnel est Kansas City, situé dans les années 1930 dans la ville natale du réalisateur, mêlant souvenirs d'enfance, personnages authentiques, corruption, prohibition, gangstérisme, violence, nombreuses références cinématographiques, et surtout la scène du jazz. Altman brosse également le portrait d'une communauté noire qu'il avait envisagé faire dans Ragtime en 1980, dont la réalisation fut finalement confiée à Milos Forman. Un documentaire rassemblant une grande part du matériau musical enregistré et filmé pour Kansas City est sorti sous le titre Jazz'34.
Après une œuvre de commande plaisante, brillante mais impersonnelle, The Gingerbread Man, Altman revient, avec Cookie's Fortune, à une sorte d'œuvre de chambre : dans une petite bourgade du sud des États-Unis, un faux meurtre dévoile des secrets de famille inavouables sur un ton plus proche du John Ford du Soleil brille pour tout le monde que d'une charge grinçante. Sans être à proprement parler une œuvre chorale, Dr. T and the Women (Dr T et les femmes), dédié aux femmes de Dallas, reprend l'idée d'un film aux multiples personnages, principalement féminins, et joue d'un ton satirique sans mesure qui pourrait justifier le qualificatif de misogyne, tant l'éventail des patientes du gynécologue incarné par Richard Gere, sans oublier épouse, maîtresse, filles, belle-fille, relève souvent de la caricature virulente. Toutes les valeurs de la vieille société américaine semblent emportées par une symbolique tornade qui débouche sur un accouchement enfin humain, mais au Mexique ! Le regard du réalisateur sur la civilisation américaine n'a rien perdu de sa violence. Il ne s’écarte de son thème de prédilection que pour Gosford Park (2001), qui transpose la structure narrative de La Règle du jeu – le chassé-croisé entre maîtres et domestiques – dans une somptueuse propriété du Yorkshire. Le film inspirera[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
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