BADINTER ROBERT (1928-2024)
Un réformateur
François Mitterrand élu, il est nommé ministre de la Justice après le 10 mai 1981, fonction qu'il occupe jusqu'à la défaite de la gauche aux élections législatives de 1986. S'entourant, pour son cabinet, de nombreux magistrats issus du Syndicat de la magistrature, il déploie pendant les six années de son ministère un réformisme tous azimuts et qui est loin de se réduire à l'abolition de la peine de mort, même si celle-ci, votée au Parlement en septembre 1981, est la mesure la plus symbolique. Mettant en place de nombreuses commissions chargées notamment d'abroger la loiSécurité et Liberté de 1980, de réformer le Code pénal et le code de procédure pénale, Robert Badinter multiplie les mesures : il s'agit notamment de la suppression de la Cour de sûreté de l'État et des tribunaux permanents pour les forces armées, de la dépénalisation de l'homosexualité, de l'élargissement du droit d'action en justice des victimes ou des associations ou de la mise en œuvre d'un droit au recours individuel devant la Cour européenne des droits de l'homme...
Toutes ces mesures témoignent d'une forme de « modernisme juridique » qui caractérise le « moment Badinter » des politiques judiciaires. Mais cette ambition réformatrice rencontre aussi des obstacles, en particulier de la part de professionnels et de groupes qui tentent de préserver leurs intérêts dans le monde judiciaire : ainsi, la tentative de réformer les tribunaux de commerce par l'introduction dans ces juridictions de magistrats de carrière est abandonnée en 1985. Enfin, le ministère Badinter introduit, à la suite du rapport Daussy diagnostiquant une crise profonde de l'administration de la justice, les notions de gestion, de stocks et de flux au ministère de la Justice. Ce faisant, il inaugure une nouvelle manière de penser la justice et le système judiciaire, sous l'angle de son « efficacité » et de sa « modernisation », qui constituera le centre des politiques judiciaires dans les années 1990.
En février 1986, à quelques semaines de la défaite de la gauche, le président Mitterrand nomme Robert Badinter à la présidence du Conseil constitutionnel. Malgré les polémiques qui entourent sa nomination, considérée par la droite et par un certain nombre de constitutionnalistes comme un acte politique de contrôle de la nouvelle majorité aux profits de François Mitterrand, il imprime sa marque : pendant les neuf années de sa présidence, il va mener à son terme la transformation du Conseil constitutionnel en une véritable juridiction constitutionnelle, dont le processus avait été entamé au milieu des années 1970. Le « conseil Badinter » met en place de 1986 à 1995 une jurisprudence cohérente, affirme définitivement sa légitimité comme instance générale de contrôle de la constitutionnalité des lois et élargit considérablement sa compétence. Au conseil constitutionnel comme à la Chancellerie, Robert Badinter est d'abord un militant du droit et des juristes. Élu sénateur des Hauts-de-Seine sous l'étiquette PS en 1995 puis réélu en 2004 (il ne se représentera pas en 2011), il continue son combat à travers un travail législatif important à la Commission des lois du Sénat et lors de ses interventions en séance.
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Écrit par
- Laurent WILLEMEZ : maître de conférences en sociologie à l'université de Poitiers, chercheur au C.U.R.A.P.P., C.N.R.S., université d'Amiens
Classification
Média
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