BRESSON ROBERT (1907-1999)
Les dates ne mentent pas, et Robert Bresson a bien été « le » cinéaste du xxe siècle – non sans quelques paradoxes. Ce héraut de la pureté du cinéma a commencé par être peintre. Le premier essai de ce cinéaste réputé austère, Les Affaires publiques (1934), fut une comédie burlesque. Prisonnier de guerre durant un an, il réalise à son retour un premier grand film (Les Anges du péché, 1943) dans la France occupée, mais donne à son expérience la force de l'universel treize ans plus tard, avec Un condamné à mort s'est échappé. Sa principale invention est un traitement neuf du corps représenté, mais il en dissimule la violence sous un style dépouillé que l'on a souvent cru éthéré.
Son influence est perceptible sur des artistes aussi divers que Jean-Marie Straub, Jean-Luc Godard, Maurice Pialat, Philippe Garrel, Léos Carax, Bruno Dumont ou Jean-Paul Civeyrac. À vrai dire, il n'est guère de cinéaste français intéressant qui ne doive quelque chose à Bresson. Mais quoi, au juste ? Son goût de la litote ? ses cadres tranchants ? la musique de ses images ? ou son art de peindre la cruauté ?
Le style c'est l'homme : démonstration
Lorsque, en 1987, les Cahiers du cinéma publièrent un Bresson dans leur collection Auteurs, le cinéaste ne désapprouva pas l'ouvrage, mais protesta contre la photo de lui qui figurait en couverture, et qui « ne ressemblait pas » ; il y avait les cheveux blancs : or, à quatre-vingt-six ans, il ne supportait pas qu'on pût évoquer son âge. Exceptionnellement avare de confidences biographiques, Bresson avait décidé de coïncider une fois pour toutes avec une image qu'il maîtriserait complètement. Il s'était attaché à la forger au milieu des années 1960, alors qu'il préparait Au hasard Balthazar, sans doute son film le plus intime. Il accorda à cette époque à François Weyergans un long entretien filmé, dans lequel il formulait les premiers aphorismes des futures Notes sur le cinématographe, et donnait l'image aristocratique d'un artiste qui aurait pu se dire, telle l'Alcmène de Giraudoux, « fier s'il se compare, humble s'il se considère ».
De Pickpocket à L'Argent, soit sur plus de vingt ans, on a le sentiment que, en un sens, rien ne change, et qu'une définition du cinéma a été trouvée qui repose sur un montage incisif d'images d'où toute théâtralité a été bannie ; sur la diction « blanche » d'un texte plus écrit que parlé ; bref, sur l'humilité et la fierté du cinématographe, une « façon neuve d'écrire, donc de sentir ». Bresson traverse la Nouvelle Vague, Mai-68, les années plombées du gaullisme finissant, sans changer un iota à sa conception du cinéma. Ce qui ne signifie pas qu'il soit insensible à l'air du temps, comme le montrent Quatre Nuits d'un rêveur ou Le Diable, probablement.
Il est donc un peu vain de vouloir découper en périodes ou en cycles l'œuvre, concis (quatorze films en comptant Les Affaires publiques), d'un homme qui ne créa qu'à l'âge mûr et dans la vieillesse. Sans doute peut-on observer que les deux premiers longs-métrages, Les Anges du péché et Les Dames du Bois de Boulogne, s'inscrivent sans hiatus dans la production du cinéma français de qualité – où ils frappent, cependant, par leur élégante économie ; du premier, Sacha Guitry vanta le caractère « profondément français ». À revoir ces deux films, et malgré les dialogues trop parfaits de Giraudoux et de Cocteau, on reste saisi par ce qui fera l'essentiel du style de Bresson : un sens musical du rythme. Le Journal d'un curé de campagne et Un condamné à mort s'est échappé, qui adaptent l'un et l'autre une histoire de vie et de mort, rompent avec ce cinéma-là, et avec tout théâtre cinématographié, par la décision radicale[...]
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Écrit par
- Jacques AUMONT : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, directeur d'études, École des hautes études en sciences sociales
Classification
Média
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