BRUNSCHVIG ROBERT (1901-1990)
Les œuvres historiques de Robert Brunschvig sur l'Afrique du Nord se caractérisent par leur précision philologique et l'appréhension de la religion en tant que dimension de l'histoire sociale et politique. Comme la plupart des grands historiens français du monde musulman de sa génération, il était influencé par l'école des Annales et, comme eux, il essayait d'intégrer la dimension économico-sociale dans l'histoire.
Néanmoins, cette démarche ne lui a jamais fait oublier l'importance du droit. En effet, ses travaux sur le droit musulman montrent la très rare capacité de reconstruire les systèmes normatifs de l'islam dans leurs dimensions logiques et sociologiques, d'analyser leurs catégories de pensée et de comprendre la signification que ces systèmes avaient pour les musulmans. Son amour pour le détail historique, la nuance et l'enchaînement logique d'un raisonnement ne l'a d'ailleurs jamais empêché de développer – en tant qu'historien d'une grande civilisation – les perspectives que la recherche devrait suivre si les études islamiques avaient l'ambition de « remplir, à l'égard d'autres sciences humaines, cette fonction de ferment qu'elle n'a pu ou su jusqu'à ce jour assumer » (« Situation... », p. 44). Il a esquissé le modèle d'une histoire de la civilisation islamique, qu'il voyait à cheval entre la sociologie et l'histoire culturelle mais, dès les années 1950, il ajoute à ces disciplines la philosophie des valeurs, le structuralisme, la psychologie pour étudier « davantage [...] les problèmes d'affectivité, de sensibilité » (ibid., p. 45).
Représentant reconnu et honoré des études islamiques dans le monde, il en critique très tôt les limites. Négligeant le développement des autres sciences, cette discipline ne contribuait pas à celui du savoir humain autant qu'on aurait pu l'espérer, vu l'importance du sujet et l'intérêt grandissant du public. Robert Brunschvig était d'autant plus à même de faire cette constatation qu'il avait accompli ses débuts dans le domaine des langues classiques de l'Antiquité, à l'École normale supérieure, et qu'il avait suivi avec le plus vif intérêt, tout au long de sa vie, les débats intellectuels de sa propre société ainsi que les transformations sociales et culturelles des sociétés de civilisation islamique. Il enseigne à Tunis (1922-1930) et à Alger (1932-1946), où il se consacre également aux études historiques, philologiques et juridiques de l'Afrique du Nord et à celles de la religion et de la civilisation islamiques. C'est seulement après la Seconde Guerre mondiale et la défaite de l'Allemagne nazie que Robert Brunschvig – après avoir vu ses parents et sa sœur périr en déportation – retourne en France, où il enseigne d'abord à Bordeaux puis à Paris, jusqu'à sa retraite en 1968.
Avec Joseph Schacht, un des plus importants chercheurs dans le domaine du droit islamique, il y dirige la revue Studia islamica. Après la mort de Schacht, c'est Gustave von Grunebaum (université de Los Angeles), historien de la civilisation islamique, qui codirige la revue avec lui. Sous sa responsabilité jusqu'en 1975, elle devient l'une des revues internationales les plus prestigieuses dans le domaine des études islamiques.
Comme d'autres maîtres de sa génération, Brunschvig n'a pas seulement laissé une œuvre importante : il a développé aussi les critères par lesquels on jugera le succès ou l'échec des études islamiques en tant que science d'une civilisation et d'une religion.
Parmi ses principaux ouvrages, citons La Berbérie orientale sous les Hafsides : des origines à la fin du XVe siècle, Institut d'études orientales d'Alger, 1940 (t. I) et 1947 (t. II) ; [...]
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Écrit par
- Baber JOHANSEN : professeur d'islamologie à l'Université libre de Berlin (Allemagne)
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