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DESNOS ROBERT (1900-1945)

Une œuvre concise et diverse

On n'est évidemment pas surpris de constater que l'œuvre de Robert Desnos laisse une impression d'inachevé. Pourtant, sa minceur n'est pas seulement due à la disparition prématurée du poète : après tout, à quarante-cinq ans, Eluard, Aragon, Char, Queneau avaient déjà composé plusieurs volumes, et d'importance. (Pour ne rien dire de ceux qui sont morts plus tôt.) Il faut ajouter que cette existence, trop vite interrompue, fut passablement entravée par les médiocres nécessités de la vie quotidienne. On observera, par ailleurs, que cette œuvre est fort diverse, ce qui la rend malaisée à définir. Les dons exceptionnels de Robert Desnos, assortis d'une immense curiosité, l'ont poussé, d'une année à l'autre, dans des voies différentes. Ainsi, chaque recueil, chaque œuvre presque, manifeste un nouvel aspect de son talent ou de ses découvertes, comme s'il nous avait laissé, d'un plus vaste projet, quelques échantillons. Cette diversité apparaît à la fois dans les modes d'écriture et dans les thèmes d'inspiration.

Dès 1919, Le Fard des Argonautes, nous l'avons vu, est composé en alexandrins classiques, correctement rimés et disposés en quatrains. Cette forme grave convient évidemment fort bien au discours épique de ces vers de jeunesse. Desnos devait l'adopter de nouveau à deux reprises : en 1928, pour The Night of Loveless Nights, longue plainte romantique, qui rappelle à la fois la naïveté de Musset et le pessimisme baudelairien ; et, en 1943, dans certains poèmes d'État de veille, où l'expression du tragique, de nouveau nécessaire, s'accorde à un ample et profond mouvement de révolte.

Dès sa vingtième année, le jeune poète essaie d'apprivoiser le vers libre : l'ombre d'Apollinaire lui fait sans doute signe, au coin des rues de Paris. Ce sont, en effet, des images du quotidien que vont restituer ces vers légers, parfois groupés en longs tercets, comme des salves. Un quotidien tressé de rêves, d'humour et de mélancolie. Ici encore, la forme fera long feu : poèmes épars recueillis dans Corps et biens (1931), Les Sans-Cou (1934), Les Portes battantes (1936), Fortunes (1942), autant de témoignages d'un art qui fut, plus qu'aucun autre, à la mesure de Robert Desnos, de son éclat, de sa rapidité, de ses changements d'humeur.

La prose appartient, en revanche, à un moment plus facile à cerner : celui de la jeunesse, mais plus encore celui de l'exploration de l'inconscient. Elle soutient essentiellement trois séries de textes : les récits de rêves, réels ou supposés, comme « Pénalités de l'Enfer » (1922, in Littérature), Deuil pour deuil (1924) et La Liberté ou l'Amour (1927). Tous ces textes ont en commun une allure d'écriture automatique, qui détermine un halo d'onirisme ou de surnaturel. Dans le dernier d'entre eux, l'obsession érotique impose toutefois une brûlante cohérence au désordre apparent de la rêverie.

J'ai laissé de côté les attendrissants calembours de Rrose Sélavy, acrobaties verbales sans danger, réalisées, dit-on, pendant les sommeils hypnotiques qui impressionnaient si fort les jeunes surréalistes. Il s'agit évidemment d'exercices, qui ne manquaient sans doute pas d'un intérêt sulfureux en 1922, mais dont les vertus se sont sensiblement éventées depuis lors.

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Robert Desnos - crédits : Stefano Bianchetti/ Corbis/ Getty Images

Robert Desnos

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