DUNCAN ROBERT (1919-1988)
La naissance de Robert Duncan, à Oakland, le 7 janvier 1919, fut une tragédie. Septième enfant d'un manœuvre démuni, Robert Duncan causa, en naissant, la mort de sa mère. Sept mois plus tard, une famille sans enfants, les Symmes, l'adoptait. Nouvelle tragédie à l'âge de trois ans : le petit garçon court dans la neige vers sa mère adoptive ; il tombe, les lunettes qu'il porte se brisent : dorénavant sa vue sera faussée. De ces deux événements, le jeune poète fera sa légende : il transformera ce matériau biographique en défi. À cette transformation il faut donner, d'ores et déjà, une autre source : les parents adoptifs du petit Robert étant férus d'occultisme, son enfance se déroula parmi les « pronostications », les cartes et les tarots, au rythme des séances de la communauté hermétique d'Oakland.
L'université de Berkeley accueille Robert Symmes, alias Robert Duncan, en 1935. Premières expériences homosexuelles, abandon des études au bout de trois ans. En 1940, Duncan s'inscrit au Black Mountain College en Caroline du Nord. Expulsé, il passe les années de guerre à Manhattan, au contact des artistes européens réfugiés (André Breton, Tanguy...). C'est l'époque de sa « saison en enfer », marquée par une courte cure psychanalytique, une correspondance et une amitié bientôt suspendues avec Anaïs Nin. Appelé à l'armée en 1941, Symmes reprend son ancien patronyme et redevient — définitivement — Robert Duncan. Retour à l'université de Berkeley en 1943, mariage, emploi auprès des éditions Dell Publishing, publication en 1944 d'un article retentissant, L'Homosexuel et la société. La rencontre en 1945 de Kenneth Rexroth, poète et traducteur des littératures orientales, lance le mouvement qui aboutira à la San Francisco Renaissance des années 1950, couronnée par la lecture du Howl d'Allan Ginsberg. Avec l'aide de Jack Spicer, Willian Everson et Philip Lamantia, avec l'apport du mouvement anarchiste californien des Wobblies, les deux hommes créent les conditions de cette « renaissance » que les jeunes beatniks new-yorkais donneront un moment l'impression d'avoir confisquée à leur profit.
L'œuvre très singulière de Robert Duncan est faite de syncrétisme religieux, de souffle épique et d'une sensibilité baudelairienne au malheur totalement uniques dans la littérature américaine. Comme si les traditions mariales catholiques et anarchistes européennes avaient fusionné dans cette langue par ailleurs rompue aux allures sèches des Creeley et des Olson, Duncan nous a donné, dans The Opening of the Field (1960), Roots and Branches (1964) et Bending the Bow (1968), provisions de bouche et d'esprit pour le siècle qui vient. La culture, nous dit-il, est éternel émerveillement, éternelle nouveauté.
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Écrit par
- Jacques DARRAS : écrivain, professeur de littérature anglo-américaine
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