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FLAHERTY ROBERT (1884-1951)

Un romantique contemplatif

John Grierson, qui animait une équipe britannique très engagée dans le documentaire social, invite Flaherty à venir réaliser en Angleterre Industrial Britain, puis The English Potter (1933). Auparavant, par le hasard d'une conversation, Flaherty avait découvert les dures conditions de vie sur les îles d'Aran, à l'ouest de l'Irlande, très loin de Londres. Accrochés aux rochers battus par le vent, dans les conditions les plus extrêmes de survie, des hommes et des femmes, à la fois pêcheurs et agriculteurs, luttaient contre les tempêtes en mer, aménageant en même temps, dans les creux des rochers, d'infimes parcelles destinées à la culture des pommes de terre. Flaherty séjourne deux ans sur place, accumulant des heures de rushes. Tout est reconstitué, mais, paradoxalement, tout est authentique : le cadre, grandiose et sauvage, à l'opposé des facilités du studio ; les situations, vécues à leur plus haute intensité ; les personnages, qui retrouvent les gestes immémoriaux de leurs ancêtres. Cette famille, c'est pour Flaherty la cellule première de l'humanité en lutte contre la nature tout en s'y intégrant, comme dans Nanouk et Moana. Apprenant l'existence, au large des îles, de bancs de requins – l'animal mythique vainement imaginé aux îles Samoa –, découvrant d'après les témoignages que la pêche en était pratiquée une soixantaine d'années auparavant, Flaherty replonge dans le passé, avec le concours d'insulaires prêts à revivre les histoires d'antan.

<it>L'Homme d'Aran</it>, R. Flaherty - crédits : Album/ AKG-images

L'Homme d'Aran, R. Flaherty

Sorti en 1934, L'Homme d'Aran est à la fois admiré et accusé de « romantisme ». Selon ses détracteurs, Flaherty aurait préféré, au regard en direct sur la réalité, une plongée imaginaire au cœur d'une réalité reconstituée. Cette alternative va dominer l'histoire à venir du documentaire.

Grand prix au festival de Venise de 1934, L'Homme d'Aran confirmait la réputation de Flaherty sans lui valoir de succès commercial. En Grande-Bretagne, le cinéaste, qui pourtant déteste le pittoresque, se laisse entraîner dans une aventure exotique : Elephant Boy (1937), réalisé par Zoltan Korda. De retour aux États-Unis, il tourne The Land, à l'invitation du département de l'Agriculture. Il est visiblement mal à l'aise dans ce travail de propagande. Achevé en 1942, alors que les États-Unis entrent en guerre, le film ne sera pas exploité.

La carrière de Flaherty semblait terminée. Mais, après la guerre, une commande la relança. Louisiana Story (1948) devait être un film à la gloire des héros de l'extraction du pétrole, un thème en apparence étranger à ce chantre de la nature. Flaherty détourne la difficulté en suivant un jeune garçon, vivant au cœur des bayous de Louisiane avec son grand-père, et que la poursuite de son ragondin conduit jusqu'aux derricks des prospecteurs. La coulée tranquille du poème cinématographique, l'évidence d'une coexistence apaisée entre la machine et la nature assurèrent le succès du film, salué tant par le public que par la critique et les commanditaires. Le Département d'État américain envoya alors Flaherty comme ambassadeur de bonne volonté en Allemagne vaincue. Flaherty meurt en 1951, enfin reconnu.

Pour apprécier l'apport immense qui est le sien, il faut le comparer à cet autre précurseur que fut, dans un autre monde mais à la même époque, le cinéaste soviétique Dziga Vertov (1895-1954). Tout oppose les deux hommes – la méthode, les thèmes, l'idéologie, l'esthétique. Pourtant, tous deux annoncent ce que sera le documentaire. Flaherty s'attache à une cellule d'humanité dont il partage la vie pendant des années, tandis que Vertov parcourt le monde en captant les images « à l'improviste » ; Flaherty ne conçoit les hommes que face à une nature grandiose, Vertov les préfère en train de diriger des machines[...]

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Écrit par

  • : écrivain et critique de cinéma, ancien chargé de cours à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot, docteur de troisième cycle, université de Paris-VII-Denis-Diderot

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Média

<it>L'Homme d'Aran</it>, R. Flaherty - crédits : Album/ AKG-images

L'Homme d'Aran, R. Flaherty

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